Pendant de longues minutes, l’homme crie cette phrase de plus en plus fort, d’une voix caverneuse, effrayante, il accompagne le convoi malgré les efforts pour l’en écarter. Alors, tout à coup, le roi fixe ses yeux sur le visage du lépreux, une sorte de commotion le saisit. Au même instant, un page qui s’est endormi sur son cheval laisse tomber la lance royale. Elle va heurter une armure. Ce bruit provoque un terrible et inexplicable déclic dans la tête affolée du roi dont la raison s’effondre. L’incroyable survient : le roi tire son épée de son fourreau, il en transperce son homme d’armes qui meurt sur le coup. Puis il fait reculer son cheval, observe avec un regard fou son escorte terrifiée, et la charge au galop ! « Je suis livré à mes ennemis », ne cesse-t-il de crier. L’escorte se disperse pour éviter les coups meurtriers, mais le roi embroche quand même quatre hommes qu’il a poursuivis. Au bout d’une heure, son cheval est épuisé, son épée s’est brisée contre une armure. Il est descendu de sa monture, solidement attaché sur une civière, et le cortège lugubre et silencieux s’en va vers le Mans. Le roi est devenu fou !
La schizophrénie de Charles VI
Charles VI souffre de ce qu’on appelle aujourd’hui la schizophrénie. De sorte qu’il connaît, entre deux crises, des périodes de rémission où il se comporte tout à fait normalement. Mais lorsque la maladie le saisit, souvent à l’improviste, il ne reconnaît plus sa femme, ses enfants, se met à crier de façon horrible, déchire au couteau les tapisseries et tentures. Il refuse de se laver, jeûne plusieurs jours, puis se met à manger gloutonnement, de façon grotesque, animale. Il danse de façon obscène et affirme s’appeler Georges.
Au bout de quelques années, Jean sans Peur a l’idée de placer auprès du roi fou une blonde, jeune et fort belle Bourguignonne : Odinette de Champdivers. Caressante et bonne, elle éprouve une immense tendresse pour son « roi fol ». Elle lui apprend à jouer aux cartes, elle le soigne avec toutes sortes de doux remèdes ; elle tempère l’ardeur des médecins qui veulent à tout prix, régulièrement, inciser le cuir chevelu du malade afin d’en faire sortir le mal de la folie… Odinette tente aussi de convaincre Charles qu’il n’est pas de verre : c’est en effet une obsession pour lui ; il est persuadé que s’il tombe il va se briser en mille morceaux ; alors, il se barde d’attelles de fer sur tout le corps afin d’éviter la catastrophe qu’il redoute ! Tendre, Odinette donne aussi de l’amour au roi : un an après leur rencontre, naît leur fille qu’ils prénomment Marguerite. Pendant trente années, les crises vont se succéder, entrecoupées de longues périodes de rémission, de sorte qu’on peut imaginer qu’Odinette et Charles connurent une forme de bonheur intense et rare. Jusqu’en 1422. Cette année-là, le 21 octobre, meurt le roi fou.
Pendant ce temps… Le grand schisme d’Occident : 1378 à 1417
Rappelez-vous : 1303 : « Paf sur le pif du pape »… En 1305, la ville de Rome étant déchirée par des factions rivales, le nouveau pape Clément V s’installe à Avignon, à la grande satisfaction de Philippe le Bel. S’y succèdent les papes Jean XXII, Benoît XII, Clément VI, Innocent VI, Urbain V, Grégoire XI. Celui-ci, avant de mourir en 1378, émet le désir que le siège de la papauté redevienne Rome. Les cardinaux s’y réunissent et élisent un nouveau pape : Urbain VI qui refuse de s’installer à Avignon. Le 20 septembre, les cardinaux élisent un autre pape, le Français Robert de Genève. Il prend le nom de Clément VII. L’Église se trouve donc gouvernée par deux papes : celui de Rome et celui d’Avignon !
Cette situation va avoir des répercussions considérables dans une Europe qui se divise en deux : l’Empire germanique et l’Angleterre demeurent fidèles à Rome, la France et l’Espagne soutiennent les papes d’Avignon. L’enjeu, comme d’habitude, est la perception des bénéfices, des taxes, la possession de toutes sortes de biens, d’États… L’Église de France cherche à s’affranchir de la domination gourmande de Rome. En 1409, le pape avignonnais Benoît XIII et le pape romain Grégoire XII sont déposés par un concile qui en élit un troisième : Alexandre V ! Mais les deux autres papes refusent cette élection. Alexandre V meurt en 1410, il est remplacé par Jean XXIII, considéré comme un usurpateur ! Finalement les trois papes sont déposés et remplacés par un seul pape romain : Martin V élu le 8 novembre 1417. Il ramène l’ordre dans une église ouverte à toutes les dérives. Le grand schisme d’Occident s’achève.