Sanson dit qu’elle est douce et grande, qu’elle est courageuse, qu’elle est belle. Ses longs cheveux châtains ont été coupés à la Conciergerie, elle est prête, elle va d’elle-même se placer contre la planche. Fermin, l’aide de Sanson, la pousse, elle bascule, le couperet tombe. Elle s’appelait Marie-Anne Charlotte de Corday d’Armont. Charlotte Corday. Elle avait vingt-cinq ans.
Depuis la chute de la royauté, la France se trouve sans constitution. Celle qui est adoptée le 24 juin 1793 est l’œuvre des Montagnards. Cette constitution de l’an I est très démocratique. Ses auteurs principaux sont Saint-Just et Hérault de Séchelles. Elle confie le pouvoir législatif à une assemblée élue pour un an, au suffrage universel. Cette assemblée nomme pour deux ans vingt-quatre membres d’un conseil chargé du pouvoir exécutif. De nombreux droits sociaux sont accordés aux citoyens : droit au travail, à l’instruction, à la subsistance pour les indigents. Elle est approuvée par référendum – deux millions de voix favorables, cinq millions d’abstentions. Mais les conventionnels eux-mêmes la jugent inapplicable en raison des dangers qui menacent la République. Le texte va être enfermé dans une arche de cèdre… pour n’en plus jamais sortir ! Son article premier précise : la République est une et indivisible.
Plus de Gironde à Paris – plus de Marat non plus… –, mais Paris n’est pas la France tout entière : en province, les Girondins parviennent à soulever de grandes villes comme Bordeaux, Bayonne, Marseille, Toulon ! Plus de la moitié des départements se révoltent. En Corse, Paoli se déclare le seul maître de l’île. Les Anglais ont débarqué à Dunkerque et Toulon ! Les Espagnols vont s’emparer du Roussillon ! La République est menacée de partout. Alors, l’incorruptible Robespierre, l’idéaliste, le rêveur d’un monde meilleur abandonne pour un temps son bréviaire « rousseauiste » : il décide d’organiser la dictature ! Mais une dictature à sa façon. Il l’appelle la « dictature de la vertu ». Cette dictature comprend deux comités et un tribunal :
La province n’est pas oubliée : des représentants en mission y sont envoyés. Ils doivent faire appliquer par tous les moyens les décisions prises par le Comité de salut public, et, autant qu’ils le peuvent, faire régner la terreur, ce que va particulièrement réussir l’envoyé en mission à Nantes, le sinistre Carrier…
Carrier et ses mariages républicains
« Ce monstre est d’une taille assez avantageuse. Il est presque tout en jambes et en bras. Il a le dos voûté, le visage oblong et d’un caractère très prononcé. Son nez aquilin rend encore son regard plus affreux ; son teint est d’un brun cuivré ; il est maigre et nerveux. Quand il est à la tribune et un peu animé, il semble tirer son discours de ses entrailles déchirées, prononçant les R comme un tigre qui gronde. »
Ce portrait de Jean-Baptiste Carrier est écrit par le journaliste Fréron. Il faut ajouter que Carrier, depuis sa jeunesse, est atteint d’alcoolisme chronique. En juin 1793, il est envoyé à Rennes, puis, en octobre, à Nantes. On lui a ordonné de nettoyer les prisons surchargées de cette ville, parce que, dit-on, les Anglais vont arriver ! Alors il imagine – ou approuve – un procédé radical qu’il appelle la déportation verticale. En effet, au lieu de la déportation vers les îles lointaines, il fait embarquer les condamnés sur des barques à fonds plats qui sont coulées au milieu de la Loire.