Les premiers exécutés de la sorte sont des prêtres. Certains d’entre eux s’agrippent au bateau qui les a conduits au lieu du supplice. Leurs bourreaux, parmi lesquels certains reconnaissent leurs anciens paroissiens, leur coupent les mains. Des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants périssent dans ce que Carrier appelle la « baignoire nationale ». Pour se distraire, il fait lier face à face, avant de les noyer, un homme et une femmes étrangers l’un à l’autre, nus. Il appelle cette mise en scène le mariage républicain. Il fait fusiller dans la plaine de Gigant près de Nantes, guillotiner sur la place du Bouffay ; il s’installe à la fenêtre de son appartement et parfois, en prenant son café, ivre, fait un signe d’adieu aux condamnés. Rappelé à Paris, Carrier sera guillotiné le 16 décembre 1794.
La création des deux comités et du tribunal satisfait parfaitement les révolutionnaires enragés – ainsi appelle-t-on les partisans d’Hébert, l’Homère de l’ordure, celui qui en veut toujours plus, qui ne cesse de réclamer des têtes ! Dans son journal
Tous les ennemis de la République sont visés par les mesures qui seront prises. Douze extrémistes entrent au Comité de salut public. Le 17 septembre, la loi des suspects est adoptée : toute personne ne pouvant justifier de ses moyens de subsistance – les spéculateurs par exemple –, toute personne appartenant à la famille d’un émigré, tous ceux qui par leurs propos ou leurs écrits se montrent ennemis de la Révolution, ceux à qui on a refusé un certificat de civisme, tous ceux-là sont des suspects qui peuvent être emprisonnés, jugés et condamnés, en général à la peine de mort. Cette peine est exécutoire dès le lendemain, sans appel ! Les comités révolutionnaires dressent la liste de ces suspects. C’est dans ce contexte d’exacerbation de toutes les tendances que le procès de Maria Antonia de Habsbourg, l’Autrichienne, la reine de France, va se dérouler les 14 et 15 octobre 1793. Le mercredi 16 octobre, elle est exécutée.
« Je vais rejoindre votre père »
Trois jours après que Robespierre et Saint-Just ont décidé que désormais, jusqu’à la paix, ils gouverneraient seuls, le procès de Marie-Antoinette, trente-huit ans, commence. Elle comparaît le 14 octobre devant le tribunal révolutionnaire présidé par Herman. Elle est assistée de deux avocats : Chauveau-Lagarde et Tronçon du Coudray. L’accusateur public Fouquier-Tinville lit l’acte d’accusation qui souligne les relations de la reine avec l’ennemi, et son rôle dans la dilapidation des deniers publics.
Le procès pourrait tourner en faveur de la reine, car elle se défend avec maîtrise et habileté. Mais le substitut du procureur, l’enragé Hébert, voyant que sa future victime pourrait lui échapper, lance contre la mère du dauphin d’immondes accusations qu’il a publiées dans son journal : la reine aurait eu des relations incestueuses avec son fils. La reine prononce alors ces mots qui demeurent à jamais émouvants dans leur simplicité, leur vérité : « J’en appelle à toutes les mères... » Les avocats de la défense interviennent : ils sont jugés trop indulgents et arrêtés en pleine audience ! À quatre heures du matin, Marie-Antoinette entend sa condamnation à mort. Au petit jour, elle va être préparée pour l’échafaud. Vêtue d’une robe blanche, les épaules couvertes d’un fichu blanc, elle monte dans la charrette des criminels, demeure debout, le dos tourné au cheval. Seule.
Durant le parcours, son regard scrute attentivement le numéro des maisons : elle sait que dans l’une d’entre elles, un prêtre réfractaire va lui donner sa bénédiction – on lui a imposé un prêtre jureur. Elle va monter rapidement les degrés de l’échafaud. Lorsque Sanson la dirige vers la planche verticale, elle lui monte sur le pied et s’excuse aussitôt : « Monsieur, je vous demande pardon, je ne l’ai point fait exprès. » Le bourreau l’attache contre la planche et l’entend : « Ma fille, mes enfants ! Adieu ! Je vais rejoindre votre père. »