Donc, reprenons nos guerriers nus, apparus dans la partie précédente. Ils nous sont souvent décrits par les auteurs de l’Antiquité comme des combattants sans peur, qui ne reculent jamais. Avant la bataille, ces guerriers de grande taille qui portent des colliers et des bracelets d’or poussent aux cieux des cris épouvantables, injurient les ennemis, lancent des clameurs qui vont s’enflant comme une vague déferlante. Ils frappent l’un contre l’autre leurs boucliers, ferraillent avec leurs épées, bref, ils intimident l’adversaire ainsi que le font encore aujourd’hui certaines équipes de rugby avant la partie.
Les Gaulois recherchent une mort glorieuse qui les fera accéder directement au paradis des héros ! Ils soufflent dans des trompes qui produisent des meuglements de monstres. Des chars lancés à toute allure défilent devant les lignes adverses. Ces chars faits d’osier tressé à partir d’un plancher où se tiennent le cocher et le guerrier sont tirés par un ou deux chevaux de petite taille, rapides et vifs. Et pendant cette cavalcade de parade, le cocher effectue des acrobaties de toutes sortes alors que le guerrier lance ses javelots. Lorsque le dernier javelot est lancé, le guerrier descend du chariot et va combattre à pied.
Amusant jusqu’ici ! Attention, maintenant ! Âmes sensibles abstenez-vous de lire ce qui suit ! Le divertissement est terminé : les Gaulois passent aux choses sérieuses, ou du moins à celles qu’ils considèrent sérieuses et importantes. Il s’agit tout simplement, avant de quitter le champ de bataille, de couper la tête des vaincus. Mais ce n’est pas tout. Selon l’historien grec Diodore de Sicile qui vécut au Ier
siècle avant J.-C., les vainqueurs attachent ces têtes ensanglantées au cou de leurs chevaux, s’en vont retrouver leurs valets qui les convoient alors jusqu’à la maison. Et tout le monde sur le chemin du retour, marchant du même pas lourd et lent, chante le péan, un hymne guerrier aux accents lugubres. Ces dépouilles sont clouées aux maisons, ou bien fichées sur une pierre pointue à la porte d’entrée où nous plaçons aujourd’hui nos boîtes aux lettres.Les têtes les plus illustres sont embaumées dans l’huile de cèdre, puis soigneusement conservées dans un coffre. Et si un étranger vient en visite, on ne lui montre pas l’album photo des vacances, mais on ouvre le coffre aux têtes, et on les sort une par une en se vantant de ne les avoir point cédées à quelque collectionneur qui pouvait en proposer l’achat contre le même poids en or ! Et ce n’est pas tout ! On ramène aussi des prisonniers, parce qu’il faut plaire aux dieux Esus, Taranis ou Teutatès – que César prenait tous pour Mercure. Et pour plaire à ces dieux, on leur offre en sacrifice les prisonniers préalablement enfermés dans une cage d’osier, on leur plonge la tête dans un chaudron, et puis on les brûle vifs. Ou bien, pour changer, on les pend aux arbres ou on les étouffe dans un tonneau rempli d’eau. Et voilà le Gaulois rassuré : les dieux sont satisfaits pour quelque temps !
Tant que nous y sommes, parlons des sacrifices humains que certains auteurs de l’Antiquité, repris complaisamment par de plus récents historiens, se sont plu à décrire sans en avoir été témoins, donc en exagérant nettement les faits. Car les Gaulois, s’ils sacrifient leurs ennemis, n’ont recours au sacrifice d’un des leurs qu’en des occasions exceptionnelles. Bien plus qu’à celui des historiens romains, le recours à l’archéologie apporte des informations sûres : à Gournay-en-Aronde, à quinze kilomètres à l’ouest de Compiègne, on a mis au jour un sanctuaire où étaient sacrifiés des porcs, des moutons et des chiens qui étaient ensuite mangés. On y a trouvé aussi des crânes de bœuf pour les sacrifices chtoniens (on tue un vieux bœuf qu’on laisse se décomposer dans une fosse afin que les puissances infernales s’en nourrissent). On a trouvé enfin des crânes et des os humains portant des traces de découpe, mais ces crânes et ces os étaient en petite quantité ; et on n’est pas sûrs du tout qu’il y eut sacrifice… Alors, on ne dit pas de mal des Gaulois ! Pas trop…
Boxons !