Le lendemain, 19 brumaire – 10 novembre 1799 –, Bonaparte pénètre au conseil des Cinq Cents où les événements de la veille ont mis tout le monde en effervescence ! Il y est accueilli aux cris de « À bas le dictateur ! » Ensuite, c’est une véritable bagarre qui se déclenche entre les députés, les spectateurs qui sont venus assister aux débats, et même les soldats, une indescriptible mêlée où tout le monde se bat à coups de poings, de pieds, les vêtements sont déchirés, on se tire les cheveux, les oreilles… Bonaparte est bousculé, il semble apeuré, il va s’évanouir ! On le transporte à l’extérieur. Où est passé le petit caporal, le grand général, le vainqueur de Lodi, d’Arcole, de Rivoli ? Les députés ne se laissent pas faire : ils préparent un vote de mise hors-la-loi. Et si ce vote est majoritaire, comme il le fut pour Robespierre, Bonaparte va être jugé, mis hors la loi, et, lui qui n’est déjà pas très grand, raccourci à la guillotine !
C’est l’instant le plus critique de la vie politique de Bonaparte. Son frère Lucien réussit à retarder le vote fatal. Puis il monte à cheval et va persuader Murat que cette assemblée en veut à la vie de son général – ce qui n’est pas faux ! Murat fait alors battre les tambours, charge et disperse dans un brouhaha indescriptible le conseil des Cinq Cents. C’en est fini du Directoire !
Le Directoire disparu, il faut penser à donner une nouvelle constitution à la France. Bonaparte va en occuper le centre, la circonférence, bref, il l’occupe tout entière.
Le pouvoir législatif y est organisé de telle façon que ceux qui discutent les lois ne les votent pas, et que ceux qui les votent ne les discutent pas ! Le pouvoir exécutif se retrouve aux mains de trois consuls, mais pour toute décision, un article de la constitution prévoit que « la décision du premier consul suffit »… Autrement dit, Bonaparte possède les pleins pouvoirs. C’est l’homme fort. Il veut absolument conserver les acquis de la Révolution, éviter un retour à la monarchie, mais, tout ce qu’il va faire tend vers cet objectif : écarter le peuple de la vie publique. Plus jamais d’invasion spontanée de l’Assemblée, plus jamais de désordres, tout va être contrôlé, surveillé, policé.
Bonaparte crée les préfets, les conseillers généraux, les conseillers d’arrondissement, les maires, les conseillers municipaux. Et par qui ces fonctionnaires sont-ils nommés ? Par le premier consul, auquel ils sont évidemment entièrement dévoués. Les juges ? Nommés par le premier consul! Il crée aussi le Conseil d’État qui rassemble quarante-cinq membres chargés de rédiger les lois, de les interpréter en prêtant toujours une oreille attentive à celui qui les nomme et qui les rémunère – déjà – impérialement ! Le suffrage universel est rétabli, mais les citoyens ne disposent que du droit de désigner des candidats parmi lesquels le gouvernement fait son choix…
De l’ordre ! De l’ordre partout ! Voilà l’obsession de Bonaparte car, dit-il, « sans l’ordre, l’administration n’est qu’un chaos, point de finances, point de crédit public ». De l’ordre et de la concorde ! Les Vendéens, les émigrés, tous sont invités à prendre part au grand projet de réconciliation nationale. Cet appel est entendu par George Cadoudal, chef de la chouannerie, qui obtient du général Brune, le 14 février 1800, un compromis de paix. Les émigrés commencent à revenir en France. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des consulats ! Les financiers décident alors de miser sur cet homme étonnant, ce Bonaparte qui est capable de leur fournir un terrain national stabilisé dans lequel leur capital va être ensemencé, avec la promesse de récoltes fabuleuses puisqu’elles ne craignent pas les intempéries.
De la concorde dans le Concordat