Toutes ces décisions s’inscrivent dans un projet bien plus vaste qui vise à la décentralisation : pour reprendre l’idée née au XIIe
siècle, des communes autonomes seraient créées dans toute la France, rassemblées dans une grande fédération de la liberté. La toute puissance de l’État serait supprimée. C’est l’antithèse du jacobinisme centralisateur qui est en marche ! Mais les rêves des communards vont être éphémères. Dès le 3 avril 1871, ils subissent une défaite contre les Versaillais lors d’une sortie tentée au mont Valérien : deux de leurs chefs sont fusillés, de nombreux prisonniers sont emmenés à Versailles où la commune de Paris a été décrite par des gens bien intentionnés comme une fête orgiaque, une bacchanale ininterrompue organisée par des hommes devenus des monstres ! Les prisonniers qui défilent sont alors couverts de crachats, lacérés, certains ont les oreilles arrachées, les yeux crevés. Voyant leurs blessures, des témoins croiront qu’ils ont été attaqués par des bêtes féroces.Le mirliton
La colonne Vendôme ! Le symbole de la barbarie guerrière ! Le souvenir des guerres impériales ! Il faut la détruire. La décision est prise le 12 avril 1871. Elle ne sera exécutée que le 16 mai 1871. Le peintre Gustave Courbet, membre du comité central de la Commune, dirige la destruction de ce qui, malgré tout, ressemble à une œuvre d’art – mais qu’il appelle le mirliton. Un lit de fumier et de fagots a été préparé pour la recevoir au sol. Malheureusement le lit n’est pas assez épais : elle s’écrase, et se brise en mille morceaux ! Beaucoup des débris sont jetés, on récupère ce qu’on peut – c’est-à-dire très peu – du bronze des canons d’Austerlitz… En juin, Courbet sera arrêté et emprisonné, puis rendu responsable de la destruction de la colonne. Enfin, on le contraindra à financer sa reconstruction. Il devra s’exiler en Suisse, l’État français se payant en confisquant ses œuvres ! La nouvelle colonne Vendôme est identique à la première, mais contient fort peu de souvenirs concrets de la bataille du 2 décembre 1805.
« Paris sera soumis à la puissance de l’État comme un hameau de cent habitants ! » C’est ce qu’affirme haut et fort Adolphe Thiers qui déclare la guerre à outrance aux Communards. La terrible semaine sanglante va commencer, le 21 mai 1871. C’est un fédéré, un nommé Ducatel, qui va jouer les traîtres et indiquer aux Versaillais sous les ordres de Mac-Mahon, que le bastion 64 des remparts, situé près de la porte de Saint-Cloud, n’est pas gardé, qu’ils peuvent passer en toute tranquillité ! Delescluze, un idéaliste républicain, commande les communards, sans parvenir à asseoir une autorité suffisante pour que les troupes se montrent efficaces contre les 70 000 Versaillais qui se répandent dans Paris au cours de la nuit du 21 au 22 mai.
Le 23 mai, ils occupent Montparnasse, les Invalides, la gare Saint-Lazare. Les communards élèvent en hâte cinq cents barricades supplémentaires – celles qui ont déjà été construites ressemblent à des fortifications. Le mot d’ordre qui s’est répandu parmi les communards tient en une formule : « Plutôt Moscou que Sedan ! » Moscou, c’est le souvenir de l’incendie du 14 septembre 1812 ! Le 23 mai 1871, Paris brûle : le palais des Tuileries – qui ne sera pas reconstruit –, la bibliothèque du Louvre, l’Hôtel de Ville, le quai d’Orsay, le palais de Justice, le Palais-Royal, tout cela a été arrosé de pétrole, bourré de poudre, tout explose et flambe ! Le 24 mai, la troupe des Versaillais – troupe rurale à qui Thiers a dit : « Soyez impitoyables ! » – fusille tous ceux qu’elle rencontre. Les fédérés décident une riposte qui va multiplier l’ardeur de la vengeance : Monseigneur Darboy et des prêtres otages depuis quelques semaines sont passés par les armes.
La vierge rouge
Au cœur de la mêlée : Louise Michel, surnommée La vierge rouge de la Commune. Fille naturelle d’une femme de chambre et d’un aristocrate, elle est née en 1830. Devenue institutrice, fascinée par Victor Hugo, elle lui envoie ses poèmes et le rencontre en 1851. Défenseur des droits de la femme, engagée en politique aux côtés de Vallès – de Théophile Ferré aussi, son seul amour, jamais déclaré, et qui, à vingt-quatre ans sera exécuté le 8 novembre 1871 –, elle lutte de toutes ses forces contre les Versaillais. Après la Commune, elle sera déportée en Nouvelle-Calédonie où elle soutiendra les Canaques. Revenue en France, elle publie de nombreux ouvrages et donne des conférences. Elle meurt en 1905.