Charles Martel meurt le 22 octobre 741. La coutume du partage ne pose guère de problème car, de son vivant, Charles a réparti entre ses fils son royaume : à Carloman, l’aîné, reviennent l’Austrasie, l’Alémanie et la Thuringe, c’est-à-dire tout l’est ; à Pépin le Bref, le cadet, reviennent la Neustrie, la Bourgogne et la Provence. À Grifon, un fils bâtard, il octroie quelques territoires isolés.
Grifon ! Voilà celui qui va sans tarder donner du fil à retordre à ses demi-frères. En effet, sa mère lui met en tête qu’il peut très bien s’emparer de tout le royaume et gouverner seul ! Pépin et Carloman doivent l’enfermer dans le château de Chèvremont près de Liège afin de le persuader du contraire. Ils placent aussi sa mère sous surveillance dans un couvent de Chelles. Puis les régions de Bourges se révoltent : Pépin et Carloman les ravagent. La région de Loches se révolte aussi : ils incendient le château. Les Alamans se révoltent : ils les écrasent dans un bain de sang ! Après toutes ces révoltes matées, ils réfléchissent et se disent que, finalement, s’ils remettaient sur le trône un roi légitime, cela supprimerait peut-être cette épidémie de désobéissance chez les grands du royaume.
Il faut donc de nouveau aller chercher dans un monastère un roi tenu secrètement en réserve. Il s’appelle Childéric III. Et l’effet escompté est obtenu : la paix semble revenue. Deux ans plus tard, en 746, Carloman, le frère de Pépin le Bref (appelé le bref à cause de sa petite taille), décide de prendre sa retraite, à trente et un ans ! Il a l’intention, dit-il, d’« abandonner la vie du siècle en servant Dieu sous l’habit monastique ». Il part pour Rome, puis décide de gagner en 747 le Mont Cassin, au sud de l’Italie, afin de se retirer dans un monastère fondé par saint Benoît. Pépin le Bref demeure seul aux commandes.
Cette fois, le « presque roi » Pépin le Bref se dit que le moment est arrivé de supprimer le « presque » afin que ne demeure que le « roi » enfin reconnu à part entière par Rome. Pour ce faire, il envoie auprès du pape Zacharie une ambassade composée de deux ecclésiastiques, dont Fulrad, abbé de Saint-Denis. La question est simple : « Au sujet des rois qui sont en France et qui n’exercent pas le pouvoir, est-ce que cela est bon ou mauvais ? » La réponse qui lui revient va droit au but : « Il vaut mieux appeler roi celui qui exerce, plutôt que celui qui n’exerce pas le pouvoir royal. » Et Zacharie d’ordonner que Pépin soit fait roi, afin que « l’ordre ne soit point troublé ». Pépin n’attendait que ces paroles pour réunir à Soissons en 750 les grands du royaume et se faire élire roi des Francs. Et Childéric III ? On l’emmène chez le coiffeur qui transforme son crâne chevelu en crâne de bonze lisse comme un œuf, et hop, retour au monastère de Saint-Bertin ! Childéric III y meurt en 755. C’était le dernier roi mérovingien !
Pépin le Bref, ou Pépin III, représente un appui beaucoup plus sûr pour le pape que le lointain empereur d’Orient. Voilà pourquoi le pape a vu d’un très bon œil les projets de Pépin. N’a-t-il pas, ce brave Pépin, un ancêtre prestigieux en la personne de saint Arnould ? Son père Charles Martel n’a-t-il pas, à Poitiers, chassé les infidèles ? Et c’est ce même Charles Martel qui a encouragé Wynfrid, devenu Boniface, un moine anglo-saxon, à évangéliser la Germanie ! De plus, Pépin s’est fait le champion de la réforme de l’Église franque. Il ne supporte pas les évêques ivrognes, débauchés, batailleurs, ignorants, et qui cautionnent des superstitions ne s’apparentant guère à l’enseignement des Écritures. Il stigmatise des pratiques païennes contre lesquelles il lutte : sacrifices dans les forêts, banquets près des tombes, culte de dieux anciens… Bref, Pépin le Bref a tout pour se faire aimer d’un pape prêt à lui accorder sa confiance.