« Tous maudits jusqu’à la septième génération ! » Jacques de Molay a eu le temps de lancer cette phrase ultime à l’adresse des rois de France, avant de disparaître dans les flammes. Le hasard – ou autre chose… – fait que les rois qui succèdent à Philippe le Bel – ses fils – sont marqués par un destin tragique, et ne laissent pas de descendance mâle : ce sera la fin des Capétiens directs. Maurice Druon, de l’Académie française, a reconstitué cette période trouble dans une série d’ouvrages adaptés en 1972 à la télévision par Claude Barma :
Philippe le Bel a horreur de la guerre, mais lorsqu’il est confronté à des situations qui nécessitent une intervention énergique, il n’hésite pas à se montrer d’une sévérité qui confine parfois à la férocité. Ainsi dans la tragique affaire de Marguerite et Blanche, les épouses de ses fils, convaincues d’adultère avec les frères d’Aulnay. Il faut dire que la légitimité de la descendance royale était en jeu, et qu’il fallait faire un exemple, mais à ce point là…
Elles sont belles, elles sont jeunes, elles ont entre dix-huit et vingt-trois ans. Elles sont trois : les deux sœurs Jeanne et Blanche de Bourgogne, mariées respectivement à Philippe et Charles, les fils du roi ; et puis la troisième : Marguerite, épouse du futur roi Louis X le Hutin. Leur belle-sœur, Isabelle, fille de Philippe le Bel, est mariée au roi d’Angleterre, Edouard II. En mai 1313, Isabelle vient en France en voyage officiel. C’est une reine triste, maussade : son roi de mari s’intéresse bien davantage aux jeunes pages qu’à elle. D’Angleterre, elle envoie des cadeaux, de temps en temps, à ses belles-sœurs Jeanne, Blanche et Marguerite, des aumônières par exemple. Le clou des festivités, lors du voyage d’Isabelle et de son royal époux, c’est lorsque Philippe le Bel arme chevaliers ses fils, et en profite pour conférer cette dignité aux deux frères d’Aulnay : Philippe et Pierre-Gauthier.
Tout à coup, pendant l’adoubement, Isabelle pâlit : elle vient de reconnaître à la ceinture des frères d’Aulnay, les aumônières qu’elle a offertes à Marguerite et Blanche ! Son instinct de femme ne fait qu’un petit tour et revient à toute vitesse avec cette certitude : Marguerite et Blanche ont pour amant, l’une Philippe et l’autre Pierre-Gauthier ! Et elle ne se trompe pas Isabelle la trompée ! Petite-fille de Saint-Louis, Marguerite adultère, ça fait désordre ! Rentrée en Angleterre, Isabelle se décide au bout d’un certain temps à envoyer une lettre à papa : « Mon père, vos belles-filles ont des amants, les frères d’Aulnay ! »
Le bras terrible de Philippe le Bel va s’abattre sur les deux dévergondées et même sur Jeanne, coupable de n’avoir rien dit. Et elles avouent tout : oui, elles recevaient, la nuit, depuis plus de deux ans, leurs amants que le bourreau déjà charcute horriblement pour tirer d’eux aussi des aveux – Alexandre Dumas, dans une adaptation très libre (comme d’habitude…) de cette tragédie, a situé les rendez-vous à la tour de Nesle que la chronique du temps mentionne sous le nom de l’hôtel de Nesle (hôtel détruit au XVIIe
siècle et qui se trouvait à l’emplacement actuel de l’Académie française). On torture aussi les complices qui sont discrètement jetés à la Seine.Le châtiment tombe : Marguerite et Blanche sont tondues, elles sont vêtues d’une robe de grosse toile rude et conduites dans un chariot tendu d’étoffes noires en la forteresse de Château-Gaillard, aux Andelys, dans deux cellules froides et humides. Jeanne est acquittée. Les frères d’Aulnay vont subir un atroce supplice : devant des milliers de spectateurs, il sont hissés sur une sorte d’estrade où le bourreau les émascule, puis il jette leur sexe aux chiens. On les descend ensuite et on les attache à des chevaux qui les traînent dans un champ, sur des tiges de paille pointues, restes de blé fraîchement moissonné. Ils sont détachés, toujours vivants. Le bourreau les remonte sur l’estrade et leur coupe la tête. Puis, les corps sont suspendus par les aisselles au gibet de Montfaucon.