La nouvelle se répand aussi vite que la bactérie : la peste, la peste noire est de retour ! Elle avait déjà fait un passage au temps des Mérovingiens, mais on l’avait bien oubliée. Elle ravage le Languedoc, la vallée du Rhône, la Bourgogne. La voici à Paris en août 1348. Puis c’est l’Île-de-France, la Champagne, la Picardie, la Normandie, la Bretagne, le Nord. En 1349, elle passe en Allemagne et en Angleterre.
Comment la peste se transmet-elle ? Les responsabilités sont partagées entre le rat et la puce :
Le nombre de victimes de ce fléau – peste signifie en grec fléau – s’élève en France à une personne sur trois. Et dans certaines régions, ce sont deux personnes sur trois qui disparaissent ! 45 000 personnes en meurent à Lyon, 80 000 à Paris. À Montpellier, dans un couvent de dominicains, 8 frères survivent sur 140.
La médecine, à cette époque, est bien impuissante devant l’ampleur du fléau. Quelques conseils sont cependant donnés :
Les Juifs en première ligne !
Le plus sûr, c’est de fuir ! Qui se retrouve en première ligne des soupçonnés, puis des accusés ? Les Juifs dont on dit qu’ils ont empoisonné les puits et les fontaines : on les y précipite ! Ils sont envoyés au bûcher à Carcassonne, à Narbonne. En Alsace, avant que la peste arrive, plus de 3 000 sont brûlés en public ! À Chinon, ils sont jetés dans la Vienne ! Apparaissent aussi sur les routes les flagellants ou batteurs qui disent avoir été choisis par Dieu pour racheter les fautes des mortels. Ils se lacèrent le corps avec un fouet fait de trois lanières terminées par une lame métallique très coupante. Et ils appellent à l’extermination des Juifs. En 1349, ne pouvant les faire taire, on prend la décision de les envoyer au bûcher où leurs délires partent en fumée.
L’Europe traverse l’une des pires époques de son histoire. La race humaine est en train de disparaître ; rien, ni la pensée philosophique, ni l’art, ni la religion, encore moins la science n’apportent de secours ou d’explication au fléau qui raye de la carte des villages entiers. La raison humaine, la belle logique des Anciens, les certitudes de la foi, à tout cela se substitue, même chez les esprits les plus éclairés, une sorte de réflexe animal de survie, un repli singulier de l’être vers son inaliénable part animale.
Cette année 1348, la France devient le pays d’une sorte d’apocalypse où l’inimaginable s’installe dans le quotidien. Toutes les couches sociales sont atteintes par la peste. Elle rassemble dans une même angoisse les populations urbaines et rurales. Les habitants des villes se barricadent chez eux, ne laissant qu’une petite ouverture pour qu’on les ravitaille. Des charrettes précédées de clochettes transportent des monceaux de cadavres dans des fosses où on les recouvre de chaux vive. Beaucoup de citadins fuient dans une campagne dont les villages sont dépeuplés par la maladie, ou déserts ; ils transportent avec eux dans les bourgades encore épargnées le fléau qui va s’y abattre. Des familles entières disparaissent, laissant ou bien une masure, ou bien un château dont peut hériter un lointain et modeste parent, ou bien que peut investir le seul survivant du lieu et ce survivant peut être le clochard de la contrée, les imbibés d’alcool résistant beaucoup mieux à la bactérie pesteuse…