Le quatrième fils de Jean le Bon, Philippe, quinze ans, n’avait pas voulu quitter son père. Trop jeune pour porter une épée, il demeura pourtant à ses côtés, guidant ses coups et le prévenant de ceux que pouvaient lui porter ses adversaires, utilisant ces injonctions célèbres que les écoliers du siècle dernier apprenaient par cœur : « Père, gardez-vous à droite ! Père, gardez-vous à gauche ! »
En avril 1357, le prisonnier du Prince noir est embarqué pour Londres. Là-bas, il est accueilli comme un roi… Une excellente table l’attend et cela se répétera tous les jours. Les épices et les mets les plus rares lui sont réservés et préparés. On lui fait apporter quantité de livres de chevalerie qu’il dévore avec passion. Il dispose d’un astrologue personnel qu’il consulte pour tout ce qu’il doit faire. Des ménestrels viennent le distraire. Il ne boit que du vin de France qui est commandé spécialement pour lui. Veut-il jouer de la musique ? On lui fournit une harpe. Bref, on le choie, on le bichonne, on prend de lui un soin extrême, et cela plaît à Jean le Bon ! Mais les Français vont payer bien cher cet hôtel anglais aux mille étoiles mais qui donne du roi de France une image peu flatteuse : la rançon qui leur est demandée équivaut à deux années du revenu du royaume !
Pendant que le roi vit son exil forcé et doré, des événements graves vont se produire en France. Après le désastre de Poitiers, le dauphin Charles prend la direction du royaume. C’est un grand jeune homme qu’une maladie infantile a laissé très pâle et la main enflée en permanence de sorte qu’il ne peut saisir les objets qu’avec difficulté. Mais son esprit est plein d’intelligence sensible et de finesse politique. Que faire face à la situation désastreuse dans laquelle il se trouve ? En 1356, il décide de convoquer les états généraux de langue d’oil (l’ensemble des acteurs de la vie politique, économique des pays du nord de la France – les pays du sud étant de langue d’oc ; oil et oc étaient les deux façons de dire oui dans chacune des parties nord et sud du royaume).
Étienne Marcel, député de la bourgeoisie, prévôt des marchands de Paris, y prend la parole plus souvent qu’à son tour, et finit par y imposer ses vues : si la France va mal, c’est que les conseillers du roi prisonnier Jean sont mauvais ! Il faut les remplacer par de bons conseillers nommés par les états généraux ! Et quel bon conseiller pourrait, par exemple, être désigné ? Étienne Marcel soi-même, bien sûr ! Les états généraux terminés, le dauphin Charles accepte de signer, l’année suivante, une ordonnance préparée par Étienne Marcel, le 3 mars 1357. Cette ordonnance permet au prévôt des marchands et à ses partisans d’accéder au pouvoir exécutif : ils vont avoir la mainmise sur les finances, l’armée et l’administration du royaume, ils vont pouvoir collecter tous les impôts comme ils l’entendent, et en faire l’usage qu’ils veulent !
Soudain, voici un troisième acteur sur la scène désertée par Jean le Bon : il s’agit de son gendre, Charles le Mauvais ! Parce qu’il ne cessait de comploter avec les Anglais, il avait été emprisonné à Château-Gaillard sur ordre de son beau-père ! Le 9 novembre 1357, il s’évade – ou plutôt, on lui ouvre les portes de sa prison, sur l’insistance de ses Navarrais – et vient s’installer à Paris ! Le dauphin est contraint de composer avec lui. L’atmosphère à Paris est délétère : le dauphin supporte mal la présence du Mauvais et d’Étienne Marcel qui veulent l’un et l’autre le pouvoir, chacun y allant de son discours auprès des Parisiens désireux avant tout de paix et de stabilité.