Читаем Malavita encore полностью

Quand Fred fut levé, Belle se précipita dans ses bras et l’entraîna dans le séjour d’été, pour bavarder jusqu’au déjeuner, et seuls. D’emblée il devina une ombre de mélancolie sur le visage de sa fille adorée.

— Raconte-moi ta vie, demanda-t-il. Je ne veux entendre que les mauvaises nouvelles, si par malheur il y en a. Je sais faire un sort aux mauvaises nouvelles, j’ai encore du talent pour ça, ma fille.

— Pas de mauvaises nouvelles.

— Si, tu as maigri, ça veut dire que tu es malheureuse.

— Mais non, je n’ai pas maigri, et puis non, je ne suis pas malheureuse.

— Tu as un amoureux qui te fait souffrir ?

— Qu’est-ce que tu vas chercher ? répondit-elle, rougissante que son père ait mis dans le mille.

— Si un jour le cas se présentait…

— Je sais, papa, tu m’as déjà fait le descriptif de ce que tu lui ferais subir. Dans mon souvenir, tu commençais par les genoux.

— Le genou se travaille bien à la matraque ou, à défaut, au tuyau de plomb. Quand on frappe bien latéral, le type marche pour le reste de sa vie comme sur le pont d’un bateau qui tangue. Ensuite je lui arrangerai l’estomac avec un sac d’oranges. Tu connais le sac d’oranges ?

— Oui, papa. On met cinq oranges dans un linge et on tape dans le ventre pour provoquer des hémorragies partout à l’intérieur sans que ça se voie à l’extérieur.

— Ensuite je finirai par ses dents. Après mon détartrage, quand ton type dira : finfore fon farfon, cela voudra dire : j’implore ton pardon.

— Papa…

— Si quiconque te fait souffrir, voilà ce que je ferai. Je peux te le jurer. Dis-le-lui.

Malgré la gravité de son ton, Fred éprouvait un réel plaisir à se voir démolir un coquin épris de sa fille. Et malgré la brutalité du tableau, Belle ne put s’empêcher de sourire en imaginant François Largillière en pièces détachées. Quitte à le réparer ensuite et faire de lui son éternel débiteur.

Maggie, le tuyau d’arrosage à la main, les épiait de loin et regrettait de ne rien entendre de leurs messes basses. Elle s’occupait sans enthousiasme d’un jardin qu’elle laissait à l’abandon ; son tamaris avait l’air triste, son figuier avait peu donné cette année, ses rosiers ne passeraient pas l’hiver, et son laurier blanc se mourait.

— Le samedi, c’est bien le jour de la camionnette à pizzas ? Va nous en chercher quatre, demanda-t-elle à Fred. Avec une salade ça suffira.

Une proposition ferme qu’il valait mieux ne pas négocier. Fred décrocha le téléphone sans composer de numéro et attendit le déclic habituel.

— Bowles ? Je vais chercher des pizzas. Je peux y aller seul, mais c’est vous qui voyez. Au cas où, je vous en rapporte une ?

L’agent fédéral savait que Fred était bien moins enclin à faire des bêtises entouré de sa famille.

— Une quatre-saisons, sans fromage.

Emmitouflé dans sa vareuse en cuir, Fred descendit au cœur du village où se croisaient les routes de Montélimar et de Dieulefit. Il s’arrêta au bistrot pour commander deux pastis, qu’ils allaient déguster, malgré le froid, au comptoir de la camionnette, le pizzaïolo et lui. C’était désormais leur rituel, été comme hiver.

— Tiens, c’est l’écrivain, fit-il en s’essuyant le front couvert de sueur et de farine. On se plaint de mes pizzas mais on y revient toujours.

— Vous avez compris quelque chose à la pâte mais vous avez encore beaucoup d’efforts à fournir sur la garniture.

Fred avait réussi à se faire accepter par la petite commune de Mazenc qui voyait en lui un artiste reclus dans son château, plongé nuit et jour dans sa création. Mais c’était aussi un garçon jovial qui discutait avec toutes les pipelettes, trinquait avec les ivrognes, et caressait les chiens des mamies. Pierre Foulon, le vendeur de pizzas, était l’un des rares dont Fred recherchait vraiment la connivence.

— Bientôt vous n’aurez plus à vous plaindre de mes pizzas, l’écrivain.

— Pourquoi, vous allez prendre des cours chez Di Matteo, à Naples ?

— Non, parce que je vais devoir arrêter.

— … Vrai ?

— Vrai.

— Je retire tout ce que j’ai dit, elles sont excellentes, vos pizzas, surtout la calzone.

— Je ne plaisante pas, j’arrête.

Fred sentit poindre un aveu difficile.

— J’y arrive plus, je vais devoir revendre la camionnette.

— Mais… il n’y a pas si longtemps vous disiez qu’on commençait à vous connaître un peu partout dans la région.

— C’est vrai.

— Vous savez, ma femme tient à Paris une espèce de petite entreprise comme la vôtre, de la bouffe à emporter, quoi. Si vous avez des soucis de gestion, elle peut peut-être vous conseiller.

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