Читаем Malavita encore полностью

Si l’affection de cet homme pour ce livre était déjà énorme, après qu’il lui eut sauvé la vie, il en fit une relique. Un prêtre vint bénir l’ouvrage qui trônait dans le salon, sur un petit autel dressé pour l’occasion, et les voisins firent la queue pour tourner une page du porte-bonheur. La légende de l’homme sauvé par un livre était née. Dès lors, plus question de s’approcher à moins de cent pas du miraculé, qui fut le seul Italien de Newark à avoir tenu tête à LCN et à vivre une retraite paisible sous les cocotiers.

Après l’humiliation subie — tous les wiseguys s’en donnèrent à cœur joie — Gianni se mit à maudire les livres, tous les livres du monde. À l’orée du troisième millénaire, à quoi pouvaient bien servir tous ces milliards de milliards de putains de bouquins ? Pourquoi tant d’arbres abattus à cause de toutes ces descriptions interminables de lieux et de visages qui n’existaient même pas ? Avait-on encore besoin de descriptions, à l’heure du numérique ? À quoi bon s’emmerder à lire trente pages qui décrivaient une tour qui penche quand, nom de Dieu, tout le monde connaissait la tour de Pise. Il suffisait d’avoir vu une seule photo pour s’en souvenir à jamais ! Tous ces romans bourrés de détails inutiles et d’histoires abracadabrantes dont chaque phrase pouvait être contredite par la vie même. Que pouvait-on apprendre dans les livres que la vie n’enseignât pas ?

Gianni s’étonnait que l’humanité au grand complet ait lu au moins UN livre, même le plus attardé des sbires de son équipe. Un jour, il avait surpris Jimmy, son frère d’élection, avec un roman policier.

— J’aime bien, ça me détend.

Il avait vu ses propres enfants grandir et se rapprocher des livres. Toute petite, on retrouvait Belle cachée dans le jardin de la maison de Newark, un recueil de poésie à la main. Elle avait déjà compris ce qu’était un vers et en avait même tourné quelques-uns — elle avait notamment fait rimer human race et pretty face, ce qui avait tout de même suscité l’admiration de son père. Mais Giovanni avait encore moins de respect pour la poésie que pour la prose. La poésie ne racontait rien, elle lançait des gerbes d’images et accolait des mots qui n’avaient jamais demandé à être réunis, et tout ça devait exalter des qualités de cœur, et avec tant de lyrisme que c’en devenait dégoûtant. Le Manzoni qu’il était alors se sentait agressé par l’idée même de poésie, et sa femme avait eu beau lui expliquer que c’était un peu comme des chansons sans musique, il y avait, selon lui, un fond bien plus pervers à tout ça. Dans quel monde fallait-il vivre pour s’extasier devant des strophes ?

Warren, lui, avait lu des essais sur la mafia des origines à nos jours. Des essais ! À douze ans, il en connaissait plus que son père sur les rites, l’histoire, les méthodes, la symbolique et l’organisation de la grande confrérie.

— Dis papa, je ne savais pas que le mot MAFIA venait du milieu du XIIIe siècle, quand les Siciliens résistaient à l’occupant français. En fait, le mot est un sigle : Morte Ai Francesi Italia Anela, ce qui veut dire : « L’Italie aspire à la mort des Français. »

— …?

Au même âge, Warren avait non seulement vu mais lu le fameux Parrain de Mario Puzo, le nouvel évangile des affranchis, le livre qui les avait fait passer de brutes psychopathes à gangsters de légende. Pendant le temps de sa lecture, Warren s’était absenté au reste du monde. Au lieu de suivre dans la rue les gosses du quartier, il s’était enfermé dans sa chambre, prêt à envoyer valser quiconque l’obligerait à lâcher son bouquin. Fred et Maggie durent se rendre à l’évidence, leur enfant chéri n’en était déjà plus un, quelque chose l’avait changé. Il s’attardait moins sous les papouilles de sa mère et redoublait d’admiration pour son père. Il savait désormais ce qu’était un chef de clan qui traitait des affaires occultes et de grande envergure. Son papa était un des leurs, et ça, il l’avait appris dans les livres.

À la longue, Gianni assuma sa monstruosité : il était bel et bien le seul homme au monde à n’avoir lu aucun livre. Et ça lui faisait gagner un temps fou, nom de Dieu ! Il agissait, au lieu de rester le cul sur une chaise à s’efforcer de croire à tous ces rebondissements débiles et à toutes ces psychologies tordues. Il en vivait un par jour, de roman, lui, Giovanni Manzoni. Les romans, c’était bon pour les caves, ceux qui partent à l’aventure en allant pêcher la truite, ceux qui croient qu’un pneu crevé est un coup du sort, ceux qui payent des impôts parce qu’on le leur demande avec un peu de fermeté, ceux qui ont peur de tout, et même peur d’avoir peur, mais qui ne peuvent pas s’en empêcher, tous ceux qui trouvent la vie angoissante ou mortifère, oui, ceux-là pouvaient oublier leur triste existence en s’identifiant à celle d’un être de papier.

Je m’appelle Ismaël.

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