Ce qu’il lut dans son encyclopédie le découragea plutôt, il s’agissait d’une famille de fermiers qui transportaient dans une carriole le corps en décomposition de la mère. Fred avait hélas vécu un épisode de cet ordre et, même si les circonstances étaient totalement différentes, il n’avait aucune envie de voir ressurgir tous ses mauvais souvenirs en lisant ce bouquin. Amelia Manzoni, née Fiore, était morte, dans son sommeil, d’une embolie pulmonaire massive, ce qui avait rendu la cause du décès difficile à déterminer. L’affaire se serait arrêtée là si Amelia, quelques jours avant sa mort, n’avait reçu la visite de son frère Tony venu cacher chez elle un butin de 150 000 $ après le braquage d’un diamantaire. La police avait perquisitionné et retrouvé l’argent mais pas Tony, parti se faire oublier au Canada. Le commissaire chargé de l’enquête avait demandé une autopsie pour faire le lien entre cette mort soudaine et la somme d’argent. César, le père, avait tenté de convaincre les autorités qu’il s’agissait d’un pur hasard mais il avait fallu attendre qu’une chaîne de décisions se mette en place pour qu’on leur rende le corps. Pendant ces trois jours-là, les Fiore s’étaient entassés chez les Manzoni, et cette promiscuité avait exacerbé tensions et non-dits. Le permis d’inhumer était arrivé comme une délivrance, le tout fut bouclé en une matinée. L’oncle Tony, toujours en cavale, était parvenu à faire le deuil de sa sœur aînée, mais pas de ses 150 000 $.
Ne trouvant pas son bonheur chez ces trois auteurs-là, Fred se tourna alors vers Dos Passos, juste pour la sonorité : Dos Passos. Il aurait aimé avoir lu Dos Passos avant même de s’y coller, histoire de placer des John Dos Passos à tout va dans ses conversations. Dans une bibliographie, il s’arrêta sur
Et puis un soir, pendant qu’il regardait un documentaire sous-marin du
Dans l’impossibilité de se procurer
Une semaine plus tard, en sortant le livre de sa boîte aux lettres, Fred se sentit intimidé et le cacha dans sa table de nuit sans même l’ouvrir. Plusieurs jours durant, il se chercha quantité d’excuses pour reculer l’échéance et doubla son rythme de travail afin de ne plus avoir le temps ou l’énergie de commencer sa lecture.
En cette nuit d’insomnie, sa femme blottie contre lui, le moment était enfin venu. Il alluma sa lampe de chevet, se redressa dans le lit sans réveiller Maggie, et ouvrit le roman à la première ligne du chapitre 1 :
Ça y est, il était en train de lire Herman Melville.
Il venait de se lancer dans
Là, dans la nuit noire, à la lueur rosée de sa lampe, Fred s’embarquait pour la toute première fois de sa vie dans un long périple qui commençait par :