Ce moment-là n’aurait jamais lieu. Fred ne pouvait désormais plus rien imaginer de ce que serait la suite et la fin de sa vie. À peine son troisième opus livré à son éditeur, il remiserait sa Brother 900 dans un grenier et Laszlo Pryor tirerait sa révérence. Car si Fred devait un jour reprendre la plume, ce serait en homme vraiment affranchi, qui n’éprouverait ni remords ni nostalgie, enfin libéré de son passé. S’il devait de nouveau décrire des paysages et créer des personnages, il le ferait comme un pionnier partant conquérir un territoire. Et là, pour peu qu’il échappe à la fois à la vengeance de LCN et aux sanctions du FBI, il essaierait de comprendre ce qu’était devenu le rêve de ses arrière-grands-parents qui s’étaient embarqués pour le Nouveau Monde, ce rêve qui avait tourné au cauchemar pour le reste de la planète. Si Fred devait à nouveau se confronter à la page blanche, ce serait pour écrire ce qu’il appelait désormais
D’ici là, il allait devoir boucler l’ouvrage en cours et évoquer, page 241, la sculpture contemporaine en tubulures rouillées ornant la façade du siège européen de la Finefood Inc., à Gennevilliers. Il la décrirait avec ses faibles moyens lexicaux, comme il décrivait toutes choses, mais certaines l’inspiraient plus que d’autres.
Warren passa le week-end chez les Delarue, moins pour revoir sa Lena que pour s’entretenir avec son frère. Amaigri, fatigué, Guillaume tendit sa main gauche pour saluer Warren et montra sa droite, fracturée et maintenue dans un strap.
— Avoir une main handicapée le met dans une humeur de dogue, dit Lena.
Il se sentit obligé d’expliquer une énième fois les circonstances de son accident, mais Warren savait pertinemment qu’il mentait, et il attendit le moment opportun pour se retrouver seul avec lui.
— Ta fracture, c’est pas une chute à la con, c’est un coup de marteau sur le poignet.
Guillaume, au bord des larmes, finit par lui raconter comment il s’était fourvoyé en se lançant dans une combine à base de décodeurs pirates pour chaînes du satellite. Sa belle entreprise avait tourné court, et il s’était retrouvé devoir 6 000 € à un investisseur qu’il avait réussi à convaincre et qui avait plongé avec lui. Au lieu d’en parler à ses parents, il avait gravi une marche de plus et les avait volés. C’était, d’après lui,
Après partage du butin — la console et quelques bricoles — Guillaume n’avait récupéré que 2 500 €, une somme qu’il avait crue suffisante pour éponger sa dette, jusqu’à ce qu’on lui fasse comprendre d’un coup de marteau sur la main que personne ne lui ferait cadeau des 3 500 restants. Depuis, il en avait réuni 2 000 en empruntant ici et là et en vendant son scooter, mais il avait encore besoin d’un bon mois pour régler le solde — il allait travailler comme serveur, donner des cours de math, il paierait, c’était juste une question de temps.
Warren lui épargna le cours de morale et Guillaume se sentit moins seul. Désormais c’était
Warren allait le sortir de ce mauvais pas. Ce serait
Contre toute attente, Warren lui proposa d’anticiper le rendez-vous avec son créancier et de le rencontrer séance tenante.
— … Maintenant ?