Читаем Malavita encore полностью

— Et puis, en France, tu verras, c’est plein de Françaises.

Laszlo était connu pour son mutisme qui ajoutait à la grande tristesse de son regard, le regard d’un homme de cinquante ans, fatigué et maigre, un homme qui, avant de recommencer à vivre ou de rencontrer une compagne, avait besoin de retrouver sa dignité.

Une serveuse vint débarrasser et prendre la commande des desserts. Ben ne laissa pas à son invité le loisir de s’exprimer :

— Pour moi un café et, pour mon ami, une bonne part de tarte aux myrtilles avec une boule de glace à la vanille dessus.

8

Les mots lui étaient revenus et se bousculaient même pour se tailler une place dans la page. Tout ragaillardi d’avoir découvert une application pratique à sa science de l’extorsion, Fred avait retrouvé le même aplomb qu’à l’époque où il pillait le bien d’autrui. Tôt le matin, il faisait jaillir ses phrases en rafales et ne se privait pas de placer quelques détonations au détour d’une page. À lui de décrire désormais comment quelques hommes motivés faisaient vaciller un parangon de la libre entreprise. Fred démontrait avec un soin particulier que, derrière les institutions, les graphiques en hausse et les tours en verre, se cachaient des monarques qui avaient besoin qu’on leur rappelle leur condition de petits êtres de chair. Et qu’une seule nuit suffisait pour que leur beau rêve de prospérité s’effondre. Depuis qu’il s’était lancé dans cette gageure, il n’était plus le caïd mis au rancart qui ressasse ses anecdotes à peine dramatisées, mais le chef de clan qui n’avait rien perdu de sa violence et de sa ténacité. En imaginant les dialogues qu’il aurait eus avec ses hommes, en évoquant l’état dans lequel il laissait ses victimes, en développant son scénario de dévastation d’une structure tentaculaire, il repartait en mission et s’autorisait les métaphores les plus tordues, les digressions les plus arbitraires — c’était Gianni Manzoni qui écrivait ce roman-là, pas Laszlo Pryor. On trouvait un Bretet, rongé par la paranoïa, à l’affût derrière ses rideaux, criant à sa femme : Ils sont là, dehors, ils m’attendent, éteins la lumière ! Dans le chapitre suivant, Fred dépeignait les cauchemars du P-DG Europe à base d’animaux hideux et de verre pilé dans la mozzarella. Quelques pages plus loin, il multipliait les scènes de détournements de camions de fournisseurs, qui tous finissaient empilés dans un ravin — un grand moment de littérature. Il s’était aussi beaucoup amusé à imaginer un dialogue entre le responsable Paris/Grande Couronne et son équipe de maintenance informatique : Pourriez-vous m’expliquer clairement ce que vous entendez par « panne système généralisée » ? Au cours du récit, on voyait s’accumuler les mémos alarmants d’une équipe de polyvalents bien décidés à décortiquer la comptabilité. Et pour mettre un peu d’action entre deux scènes de bureaux, Fred s’était attardé, avec force détails, sur l’explosion d’un hangar plein de matériel et de matières premières — le soutien technique du neveu Ben avait créé un effet de réel saisissant. Par ailleurs, il avait tenu à suggérer, au fil des chapitres, une angoisse grandissante chez les salariés de la compagnie où circulaient des rumeurs d’OPA et de menaces de rachat, sans parler des taux qui chutaient et de la hantise de voir débouler « les Américains » au siège de Gennevilliers. De retour dans les restaurants, on assistait à un défilé incessant de nouveaux clients qui trouvaient tout immonde et qui le faisaient savoir : esclandres, vitrines éclatées à la barre à mine, alertes à la bombe. Quand parfois l’auteur s’épatait lui-même de quelque nuisance sophistiquée, il regrettait de ne pouvoir la mettre en pratique et passait à la suivante. En travaillant jour et nuit, les pages s’étaient accumulées ; Fred ne s’épargnait aucun effort pour parachever son œuvre, et en finir une bonne fois pour toutes avec ses Mémoires de mafieux.

Naguère, il s’était imaginé vieillir le stylo à la main, dans sa belle demeure provençale. Il s’était même vu mourir à un âge canonique et aurait pu décrire la scène : tard dans la nuit, penché sur sa machine, dans une attitude devenue si familière que ni la scoliose ni l’arthrose ne l’avaient rendue pénible, il aurait cherché le mot qui lui manquait. Pour ne l’avoir jamais utilisé, il l’aurait cherché longtemps, mais le mot existait bel et bien, caché depuis des lustres entre deux pages d’un dictionnaire en attendant qu’un écrivain daigne le choisir. Il aurait fini par le trouver, comme la petite touche de couleur qui donne un reflet de lumière à tout le paragraphe. Et puis, satisfait mais fatigué après cet effort, il aurait un instant posé la tête sur ses bras croisés et se serait assoupi pour toujours.

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