Читаем Malavita encore полностью

Elle appartenait à un homme. Un homme puissant à qui elle était destinée depuis l’enfance, et elle avait passé sa vie à lui échapper, mais il la rattrapait toujours. Il se voulait son protecteur, il était son geôlier. Dans son grand manoir de la forêt de Louveciennes, sa prison dorée, il disposait d’elle comme il l’entendait. Parfois, le soir, il la sortait pour la montrer à ses amis. Il la voulait comme femme légitime et mère de ses enfants. Belle ne savait plus comment fuir ce destin qui semblait désormais être le sien. Comment avait-elle tenu aussi longtemps hors de son emprise ?

— Je ne vous demande qu’une chose, François, au nom de nous deux, de ce que nous avons vécu. Si je ne réponds plus à vos appels, ou si vous n’entendez plus parler de moi, ne prévenez jamais la police.

— … La police ?

— Promettez-le-moi !

— …

— Promettez-le-moi ou vous me mettriez en danger !

— … Mais allez-vous me dire de qui il s’agit ? Comment s’appelle-t-il ?

— Dans votre intérêt, je ne vous le dirai pas.

L’homme était connecté à la mafia, protégé par des politiques, intouchable.

— Un jour, il m’a poursuivie jusqu’au fin fond d’une banlieue de New York et m’a ramenée chez lui. Quand je vous ai rencontré, j’ai cru que le cauchemar était terminé, mais j’ai eu tort.

Dans son état de pétrification, François ne put remarquer le 4×4 Rover gris qui venait de se garer en face du bistrot, ni les deux hommes qui en sortirent.

— Je vais devoir partir. Oubliez tout ce que je viens de vous dire, et surtout, oubliez-moi.

Il vit alors les deux hommes dans la rue, les bras croisés, adossés à la voiture. Les agents Alden et Cole, du FBI, n’avaient pas de gros efforts à fournir pour paraître menaçants. Non seulement ils avaient cette étrange immobilité dans le regard, propre aux agents du FBI, mais ils possédaient de surcroît de véritables talents d’acteurs. Si l’on en jugeait par toutes les missions où ils avaient dû infiltrer des milieux de truands et se faire passer pour les plus coriaces d’entre eux, toutes ces filatures où ils avaient fait semblant d’être des badauds, des touristes, des clients de coffee shop, toutes ces surveillances où ils avaient joué les veilleurs de nuit, les vigiles ou les clochards, tous ces interrogatoires où ils avaient improvisé des dialogues de gentil ou de méchant flic, devant témoins et suspects, on pouvait dire qu’Alden et Cole avaient joué la comédie plus souvent que n’importe quelle vedette de l’Actor’s Studio.

Cette fois, on leur avait demandé de tenir un rôle incompréhensible, mais on ne discutait pas les ordres du capitaine Quint.

— Vous allez m’embrasser une dernière fois et je vais me lever, je vais vous sourire et quitter cette table.

François Largillière n’était pas sûr de désirer que tout se passe ainsi.

— Si je les suis sans créer de complications, ils ne vous feront aucun mal. Pour eux, vous n’existez pas. Ne craignez rien.

— …

— Je ne vous oublierai jamais, François Largillière.

Après son départ, il mit un bon quart d’heure avant de recouvrer l’usage de ses jambes et de rentrer chez lui. Pour l’usage de la parole, il aurait besoin de beaucoup plus de temps.

*

Après avoir consulté deux dictionnaires de synonymes et essayé diverses tournures pour trouver des équivalents au mot pizza, Fred fut forcé de constater qu’il n’y en avait qu’un seul : pizza. Avec n’importe quel plat de pâtes, il aurait eu le choix entre plusieurs termes, il aurait même créé une ou deux images, mais la pizza ne supportait aucune autre désignation. À force de taper cent fois le même mot, Fred avait fini par se demander, sur le coup de midi, depuis combien de temps il n’avait pas mangé de pizza faite dans les règles de l’art — pas une de celles qu’il décrivait dans son bouquin. Il laissa en plan son chapitre pour descendre au village et se réjouit de voir en contrebas, après plusieurs semaines d’absence, la camionnette de son copain le pizzaïolo ; un signe qu’en ce bas monde certaines choses n’étaient pas destinées à changer.

En voyant arriver Fred, Pierre Foulon perdit son air jovial, comme s’il redoutait ce face-à-face depuis qu’il avait retrouvé la route de Mazenc.

— Calzone ?

— Non, une napolitaine. Vous pouvez vous lâcher sur l’anchois et les câpres. Je dois avoir besoin de sel.

L’homme goûta au pastis que Fred avait posé sur son comptoir et travailla la pâte en silence.

— Vous vous êtes fait rare, ces derniers temps, dit Fred.

— Des choses à régler.

— Et vous les avez réglées ?

— Disons qu’elles se sont réglées toutes seules, comme par enchantement. J’avais des difficultés, je vous en avais parlé, vous vous souvenez ?

— Vaguement.

— Mais si… un locataire indélicat, des loyers impayés, l’embarras auprès des banques, la camionnette que je suis sur le point de revendre et ma famille qui se serre encore plus la ceinture, ne me dites pas que vous avez oublié mes petits malheurs ?

— Ça s’est arrangé ?

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