J’ai
rallumé la radio. Rien. L’Irlande du Nord avait disparu
des informations. Je suis sorti. Il y a un kiosque à journaux
à l’entrée du métro Rome. J’ai
acheté un journal du soir. Je l’ai ouvert et je suis
tombé. J’avais déplié le journal, je
marchais, j’ai lu un titre en gras, quelques lignes et je suis
tombé. Pas tombé comme on chute. Pas violent ni
brusque. Simplement, j’ai tout arrêté. J’étais
sur le trottoir, sur le terre-plein, à quelques mètres
de mon atelier. J’ai arrêté de marcher, j’ai
arrêté de lire, j’ai arrêté de me
porter. Je me suis laissé aller en arrière. J’ai
lâché le journal. Je me suis assis lourdement, puis
couché sur le dos, tête heurtée contre le sol
dans un silence blanc. Des gens sont passés. Plusieurs, sans
un mot, regards. Puis un postier s’est penché sur moi.
Et une femme. Un jeune homme aussi, qui parlait de malaise. Le
postier m’a assis avec précaution. Il a enlevé
ses gants. Il a ouvert mon col de chemise. Il a dit que j’étais
gris. Que j’avais les lèvres bleues. Le serveur du café
est arrivé avec un verre d’eau. C’est lui qui fait
mon sandwich à midi. Il m’a appelé
Je ne sais plus comment. Je me suis retrouvé dans mon atelier. Assis sur le tabouret des visiteurs. J’ai regardé le violon meurtri. J’ai regardé mon mur. Les limes, glissées par dizaines dans leur support de bois. Mes canifs, avec leur manche d’érable fileté d’ébène. J’ai regardé les gouges, les lousses spiralées, les bédanes à filet, les ciseaux, les rabots, les serre-joints, les cales, les presses, les burins, les pointes, des frettes de guitare ancienne oubliées dans un coin de l’établi comme un jeu de mikado. J’ai regardé le fouillis de chiffons souillés, d’éclats de bois, de copeaux, de poussière, le gâchis de cordes enroulées tout autour de ma lampe, les boîtes, les bouchons, les débris de papier de verre, les pinceaux en bottes dans leurs tasses ébréchées. J’ai regardé les bocaux de vernis, les bouteilles à secrets, j’ai regardé mon réchaud à un feu, la casserole de colle de poisson durcie. J’ai regardé le bois rude, les quartiers d’épicéa, d’érable, empilés depuis des années en attendant d’être secs. Longtemps, j’ai regardé les violons, qui pendaient aux crochets comme des pièces de boucher. J’ai regardé ce désordre étranger, cette clarté terre de Sienne, cette presque obscurité.
Sans
plus rien comprendre, j’ai retrouvé sur le mur le grand
homme à col rond, et cet autre, cheveux longs, ce Bobby Sands
qui souriait à la mort. J’ai relu le poème de
Yeats et sa terrible beauté. J’ai regardé la
proclamation d’indépendance,
C’était
un tout petit article. De ces choses rapides à lire, qui
bloquent les colonnes d’un journal comme une cale sous un
meuble.