— Je
n’ai rien dit. Je pense qu’il le croyait.
— Tu
penses ?
— Il
avait peur pour moi.
— Tu
sais qu’il nous a rendu des services ?
— Oui.
— Tu
l’as mis en garde contre ça, pourquoi ?
— Ce
n’est pas sa guerre.
— Comment
expliques-tu que cinq volunteers qui opéraient en France ont
été arrêtés en 1982 ?
(Silence)
— Réponds,
Meehan.
— Je
ne l’explique pas.
— Est-ce
que le Français a été mêlé à
ces arrestations ?
— Il
n’a rien à voir avec ça.
— Et
toi, Meehan ?
— Non.
— Tu
te souviens de John M
cAnulty, le taxi d’Ardoyne
qui avait cette grande barbe blanche ?— Oui.
— Tu
sais qu’il croyait avoir été donné ?
— Je
sais.
— Le
Français ne savait pas que c’était toi qui
donnais, Meehan ?
— Ce
n’était pas moi.
— Tes
employeurs savaient que tu vivais chez le Français ?
— Oui.
— Tu
le leur as dit ?
— Ils
le savaient.
— Ils
savaient aussi qu’il avait rendu des services à l'IRA ?
— Je
n’ai jamais rien dit sur l'IRA.
— Tu
mens depuis quatre jours, Meehan.
— Je
ne mens pas.
— À
aucun moment, tu n’as parlé de ta trahison au Français ?
— Jamais.
— Tu
n’as jamais eu envie de te confier à lui ?
(Silence)
— Ça
a dû lui faire un choc au Français, hein,
Meehan ?(Silence)
— Si
vraiment il ne savait rien, putain de surprise hein ?
— Il
ne savait rien.
— Il
a pris ça comment, tu crois ?
— Je
ne sais pas.
— Tu
l’as balancé aussi, Meehan. Tu as balancé cinq
volunteers et un brave gars qui croyait bien faire.
— J
e
n’ai balancé personne.— Tu
veux qu’on te confronte au Français, Meehan ?
— Laissez-le
tranquille.
— Tu
n'aimerais pas savoir ce qu’il pense de son ami
irlandais ?(Silence)
— Tu
t’en fous ?
(Silence)
— Tu
t’en fous ? Dis-le, Meehan. Dis-le que tu t’en fous
du Français. On se fout de tout quand on trahit.
— Je
m’en fous.
— Redis-le-nous,
Meehan.
— Je
m’en fous.
— Je
me fous de ce putain de Français, dis-le.
— Je
me fous de ce putain de Français.
Le secret
J’ai
attendu Noël pour rejoindre Belfast. Avant, je n’ai pas
pu. L’IRA a relâché Tyrone le 21 décembre
2006. Il a quitté Dublin, seul. Sa famille était sans
nouvelles. Sheila et Jack attendaient un signe de lui. J’ai
appelé. Le fils m’a dit que j’étais le
bienvenu. Que je pouvais passer pour les fêtes, que nous irions
ensemble à la messe et que je partagerais le repas. Je suis
arrivé le 24 décembre. Personne n’est venu me
chercher à l’aéroport. Il faisait encore plus
froid ici que dans mon ventre. J’ai pris le bus qui conduit à
l’hôtel Europa, puis un taxi noir au dépôt
de Casde Street. C’était la nuit. J’étais à
l’arrière, calé sur la banquette entre une femme
chargée de cadeaux et un jeune homme. Deux gars me faisaient
face sur leur strapontin. A l’avant, un passager parlait au
chauffeur. J’ai fermé les yeux. J’ai toujours
adoré cet instant du retour. Le taxi collectif. Cette entrée
dans Belfast, serré tout au milieu des miens. J’ai
toujours aimé ces dames qui se signent furtivement au passage
d’une croix, ces hommes sombres, ces enfants d’uniformes
froissés.