— Vas-y toi-même, à ta manière. Utilise ma voix et mets en avant mon autorité en tant que ministre de la Défense et en tant que chef provisoire du gouvernement. Vas-y, Mike, lance-leur des cailloux ! Et des gros ! Il faut leur faire mal !
— D’accord, Man !
25
« Un maximum de
C’est ainsi que Prof avait résumé la doctrine de l’opération Roc Dur, et c’est bien ce que nous avons essayé de faire, Mike et moi. L’idée était de frapper les vers de Terre avec assez de violence pour les convaincre… mais suffisamment de douceur pour ne pas leur faire mal. Ça paraît contradictoire ? Attendez de voir.
Il s’écoulerait nécessairement un certain temps entre le moment où nous jetterions les cailloux et celui où ils tomberaient sur Terra ; ce trajet ne pouvait être inférieur à dix heures mais pouvait durer aussi longtemps que nous le voudrions. La vitesse d’éjection d’une catapulte étant très critique, une variation de l’ordre de 1 % peut soit doubler, soit réduire de moitié la durée de la trajectoire Luna-Terra. Mike devait donc calculer cette durée avec la plus grande précision ; il aurait pu en faire autant avec un ballon, lui faire décrire n’importe quelle courbe ou l’envoyer directement dans les buts. Pourquoi diable ne s’était-il pas chargé de lancer pour les Yankees ? Enfin, de quelque manière qu’il les lance, la vitesse à l’arrivée sur Terra avoisinerait la vitesse de libération d’attraction terrestre, soit environ 11 kilomètres à la seconde. Cette vitesse effrayante serait produite par la masse de Terra elle-même, quatre-vingts fois plus grande que celle de Luna – et ça ne ferait donc pas une grande différence que Mike envoie doucement un projectile selon une trajectoire longue ou qu’il le projette avec force. Ce n’était pas une question de muscle : la seule chose qui comptait, c’était la profondeur.
Ainsi. Mike pouvait programmer les jets de pierres de manière à les synchroniser avec le lancement de la propagande. Avec Prof, ils avaient décidé que le premier projectile devait arriver au bout de trois jours et au moins une rotation de Terra – qui est de 24 heures, 50 minutes, 28 secondes 32 centièmes. Mike pouvait bien sûr expédier un projectile de l’autre côté de Terra sur la face cachée, mais il serait infiniment plus précis en voyant le but et en suivant le projectile pendant sa chute, à l’aide de ses radars, jusqu’aux toutes dernières minutes afin de corriger éventuellement la trajectoire, ce qui lui donnerait une extraordinaire précision.
Nous avions besoin de cela pour provoquer une peur bleue en évitant autant que faire se peut toute perte humaine. Nous allions annoncer le tir, leur dire exactement où nous frapperions, leur annoncer l’heure, à la seconde près, et leur donner trois jours pour évacuer la zone visée.
C’est ainsi que notre premier message à destination de Terra, émis à 2 heures du matin, le 13 octobre 2076, sept heures après la tentative d’invasion, a annoncé la destruction complète de leur Force d’Intervention ; tout en dénonçant cette brutale invasion, il signalait des représailles imminentes en indiquant les lieux et les heures des bombardements ; nous donnions en outre à chaque nation un ultimatum pour condamner l’action des N.F., nous reconnaître et éviter ainsi d’être bombardée. Le délai s’étendait à vingt-quatre heures avant les bombardements respectifs.
C’était plus de temps qu’il n’en fallait à Mike. Le chargement de cailloux serait dans l’espace bien avant de frapper la cible, car la trajectoire était longue, et ils auraient ainsi une grande marge d’action. Il fallait beaucoup moins d’une journée à Mike pour leur faire complètement éviter Terra, pour les dévier et les mettre en orbite permanente autour de la planète. Même s’il ne disposait que d’un délai d’une heure, il pourrait encore les faire tomber dans un océan.
Première cible : le Directoire d’Amérique du Nord.
Toutes les grandes nations des Forces pacifiques, soit sept puissances ayant droit de veto, devaient être frappées : le Directoire d’Amérique du Nord, la Grande Chine, l’Inde, la Sovunion, la Pan-Afrique (sauf le Tchad), la Mideuropa et l’Union brésilienne. Nous avions aussi choisi des objectifs et des horaires de bombardement pour les nations moins importantes, tout en ajoutant que nous n’en bombarderions que 20 %. Nous avions pris cette décision en partie parce que nous manquions d’acier et en partie aussi pour créer un climat de peur : si la Belgique était frappée la première, la Hollande pouvait très bien décider de protéger ses polders en négociant avant que Luna ne s’élève une nouvelle fois dans son ciel.