Le jour annoncé pour l’assassinat d’Adamsberg au soir s’écoula dans une alternance de tension extrême et de travail censé la dissiper. Tous les médias, régionaux comme locaux, se faisaient l’écho des deux attentats contre le commissaire et, hormis quelques-uns, tous s’étonnaient du peu de gravité de ces premières blessures et posaient l’hypothèse d’une éventuelle pression pour obtenir la libération des détenus. Et donc de la mort d’Adamsberg si le ministère n’obtempérait pas. Un possible cas de figure que la majorité des journalistes dénonçait avec fermeté.
Adamsberg surveillait son portable depuis son lit et non seulement le gouvernement ne pliait pas, mais il n’avait pas même reçu un message d’encouragement. « Là-haut », ils se terraient comme des pleutres, ce qui ne l’étonnait en rien. Toute l’équipe de Matthieu était à Rennes, occupée à mettre en bon ordre les interrogatoires et à ranger les pièces à conviction saisies dans des boîtes, elles-mêmes placées dans le coffre du commissariat. Seul Adamsberg paraissait d’une humeur égale et Matthieu relisait souvent son message matinal :
Les gardes du corps, armés de leurs nouveaux boucliers, partirent pour Rennes chercher Adamsberg à l’hôpital en fin d’après-midi pour le conduire à l’auberge, qui leur semblait un endroit sûr. Les deux équipes de Matthieu et d’Adamsberg attendaient déjà dans la rue, tâchant de bavarder pour apaiser l’angoisse montante. Retancourt ne tentait pas même de parler. Elle émettait ce même grondement guttural tel un lion se préparant à l’attaque. Avant de faire entrer le commissaire chez Johan, on avait procédé à une fouille longue et approfondie des lieux pour s’assurer que nul n’y était resté camouflé après le déjeuner. Johan avait fermé ses lourds volets de chêne, bouclé la porte arrière du cellier, porte qu’il avait fait blinder pour protéger ses précieuses bouteilles, et qui satisfaisait pleinement les gardes du corps. Une fois l’espace déclaré « hors risques », on gara l’ambulance devant la porte et les gardes formèrent avec leurs boucliers une sorte de court et étroit tunnel par où devait passer le commissaire pour entrer dans l’établissement.
Johan, qui avait pris le temps d’aller prier son invisible hirondelle, lui avait préparé une chaise confortable et placé sous la table un tabouret muni d’un coussin pour qu’il puisse y poser sa jambe.
— Si je comprends bien, dit Adamsberg avant de quitter la voiture, on change de technique ?
— Oui, dit Matthieu, et crois-moi si tu veux, j’ai eu du mal à obtenir ces boucliers balistiques. Larges, longs, heureusement que les gars sont costauds cars ils pèsent dans les dix kilos. Avec eux, on va pouvoir travailler à l’ancienne, à la romaine.
— Explique, dit Adamsberg.
— Les Gaulois avaient inventé une intelligente parade défensive pour faire progresser leurs hommes en dépit des pluies de flèches de l’ennemi. Regroupés et serrés en carrés, les guerriers tenaient chacun au-dessus de leur tête un large bouclier, tout en maintenant les autres boucliers sur les flancs, à l’avant et à l’arrière. Cette technique fut abondamment reprise par les Romains et prit le nom de formation en carapace ou plus généralement de « formation en tortue ».
— J’entrerai donc dans l’auberge directement sous le couvert des boucliers en tortue ? Assez extragavant, tu ne trouves pas ?
— Extravagant, Adamsberg, extravagant. Pas « extragavant ».
— Si tu veux. On n’est plus à cela près.
— La technique a deux mille ans mais le passage est inviolable. Même couloir à la sortie. Et cette fois, j’ai pu obtenir deux véhicules à vitres pare-balles. Quatre gardes seront avec toi dans la première voiture, les quatre autres dans le second. Même principe pour le débarquement à l’ancien asile.
— C’est presque parfait mais il y a une faille dans le système, Matthieu, dit Adamsberg en s’engageant avec sa béquille dans le tunnel formé par les boucliers.
La sérénité naturelle d’Adamsberg, inchangée, calma en partie l’anxiété du groupe et la tournée de chouchen fut le premier instant de détente des équipes. Johan n’oublia pas les huit défenseurs postés autour de l’auberge et sortit leur porter des demi-verres de chouchen et de l’eau, ainsi qu’à Retancourt qui, assise sur les marches, examinait attentivement le hêtre. Adamsberg salua mentalement la délicatesse de Johan, car les gardes, sous l’épaisse cuirasse noire qui les couvrait, évoquaient plus des robots que des gars aptes à boire un coup de chouchen. Leur dîner était déjà pris, afin que le repas ne les détourne pas de leur mission.