— Parfaitement. Continue, l’encouragea Adamsberg en continuant de noter, tu m’intéresses.
— Il s’est évanoui à table et son ami l’a amené dare-dare au cabinet le plus proche. Chez Jaffré. « Malaise vagal », il a dit, le docteur, rien de grave du tout – à mon avis, c’était plutôt trop de chouchen –, mais en tout cas, le Donald – ah ! Voilà que son prénom m’est revenu ! –, tout ragaillardi, bourré de reconnaissance, a pris aussitôt notre Jaffré en affection. Comme si c’était son sauveur, quoi. Et tu sais comment ils sont, les Américains. Peut-être pas des belles manières comme nous, mais ils deviennent camarades pour un oui pour un non, chaleureux en diable, et il a invité notre Jaffré et sa femme à dîner le soir même. Et tu sais où Jaffré l’a amené ?
— Ici, dit Adamsberg en souriant.
— Parfaitement, dit Johan, se redressant de fierté à ce souvenir. Et comme le doc m’avait appelé pour retenir la meilleure table, crois-moi que j’ai soigné le dîner comme jamais. Je voulais leur en mettre plein la vue, au Donald et à son ami, servir le fin du fin de la cuisine française, et pas des hot-dogs, tu peux me faire confiance.
— Je vois ça d’ici, oui.
— Et ça a été un sacré dîner. Langoustines à la truffe et tout le bazar. Ça discutait ça discutait, comme s’ils s’étaient connus depuis toujours, l’Amerloque appelait Jaffré par son prénom et Jaffré lui donnait du « Donald » à tout bout de champ. Je sais pas ce qu’ils se sont dit, parce que ça causait qu’anglais, mais après, le docteur les a emmenés pendant trois jours visiter les plus beaux endroits de la région. C’était pendant un pont, je me souviens, on devait être en mai. Après, notre Jaffré, il était tout chagrin qu’ils s’en aillent poursuivre leur tour de France. Une fois, il est même parti le voir là-bas avec sa femme, ils sont restés au moins trois semaines chez ce Donald.
— Mais tu ne me dis pas pourquoi ce Donald serait comme par hasard le Donald du testament.
— Ah oui. Pas de hasard. Ce Donald avait raconté à Jaffré comment il avait atterri dans ce petit village perdu de Louviec – qui l’avait épaté, tu peux me croire. Avant son départ pour la France, il avait demandé à des connaissances où c’était le mieux d’aller. À son vendeur de Jaguar aussi, qu’était français. Qui lui avait dit de ne pas manquer Combourg, ni Louviec où qu’il était né. Qu’il adorerait ça. Et c’était qui ce vendeur de voitures ?
— Robic.
— Tu y es.
— Continue, Johan.
— Eh ben Jaffré avait pas manqué de lui raconter l’histoire du fantôme de Combourg. Et à sa surprise, le Donald en avait eu peur, tellement qu’il était superstitieux ! Il croyait dur comme fer à tous ces trucs, aux présages de malheur et tout le fourbi. Comme croiser un chat noir venu de la gauche, voyager un vendredi 13, faire son testament, que tellement de gens sont persuadés que rien que l’écrire ça fait mourir. Et l’Américain, alors qu’il était millionnaire, jamais il l’aurait fait, ça, jamais, il a dit à Jaffré.
— Jamais quoi ? Voyager un vendredi 13 ?
— Non, le truc du testament. C’était cela qu’il savait, Jaffré, et c’est pour ça qu’à son idée, ce testament-là, c’était de la pure arnaque.
— Et le docteur a su que son Donald était mort ?
— Ben forcément, parce qu’ils s’écrivaient, ils se téléphonaient. Et l’ami américain, celui qu’était venu en France, il a dit à Jaffré que Donald avait été tué par des gangsters. Ça lui a foutu un sale coup, et il a suivi l’enquête que les flics faisaient là-bas. Et quand il a su que Donald avait légué ses millions à un certain Pierre Robic, il a explosé. Comme il m’a raconté : « J’ai pas pu me retenir, Johan. »
— De quoi ?
— De lui causer deux mots, au Robic. En le croisant à Combourg, pas longtemps après son retour, il lui a dit qu’il avait très bien connu Donald, et il l’a félicité de sa bonne fortune, l’air de rien. Et puis il a ajouté quelque chose du genre que ça le surprenait sacrément de la part de son ami, qui avait juré de ne jamais faire de testament. « Et vous voyez, Robic, il a dit, en effet, ça ne lui a pas porté chance. » Et il l’a planté là. « Tu aurais dû voir ça, Johan, il était devenu tout vert. » Vous savez comment les médecins savent vous faire comprendre des choses par des petites phrases insidieuses. N’empêche, ça et puis la méfiance des gens de Louviec, ça a poussé Robic à prendre le taureau par les cornes et il a été montrer son acte officiel américain au notaire de Combourg, qui l’a déclaré recevable, et il l’a fait savoir partout, jusque dans
— Jameson, interrompit Mercadet. Donald Jack Jameson.
— C’est lui, s’écria Johan.
— Assassiné juste après que le testament a été posté au notaire, continua Mercadet. Crime crapuleux, tous ses bijoux et son fric volés pendant la nuit.