Parmi les pétitions, dont le Corps Législatif ne voulait pas prendre lecture, il s’en trouvait près de trois cents d’individus se plaignant que leurs curés leur refusaient l’absolution parce qu’ils étaient propriétaires de biens nationaux. Or huit millions de Français sont dans ce cas, et les huit millions qui ont le plus d’énergie. Au mois d’octobre, les journaux dévoués à la cour racontèrent qu’à une fête que le prince de Neuchâtel avait donnée à Grosbois au roi et à la famille royale, le prince avait fait hommage à Sa Majesté d’un rouleau de parchemin contenant les titres de propriété de ce bien national. Le roi les avait gardés une heure et ensuite les avait rendus au maréchal avec ce mot gracieux: «Ces titres ne peuvent pas être en de meilleures mains.» Berthier se plaignit de cette ridicule anecdote au roi lui-même et, ce que je suis bien loin de croire, ne put jamais obtenir la permission de la démentir dans les journaux.
M. Perrand proposa une loi fort juste: il s’agissait de rendre aux émigrés leurs biens non vendus[206]
.Il osa parler à la tribune «des droits sacrés et inviolables que ceux qui avaient suivi la ligne droite ont toujours aux propriétés dont ils ont été dépouillés par les tempêtes révolutionnaires» et M. Ferrand eut le cordon bleu.
Ce mot mit le feu à la France. Des gens qui vivraient tranquilles et soumis sous l’autorité du dey d’Alger, deviendront furieux au mot le plus indirect qui menacera leur propriété.
Chapitre LXXXIV
Napoléon à l’île d’Elbe
Il est temps de revenir à l’île d’Elbe. Napoléon ayant lu dans un journal, — en se faisant la barbe, le discours du ministre Ferrand, fit appeler le général Bertrand et lui dit: …
Chapitre LXXXV
Retour de l’île d’Elbe
Le baron Jermanowski, colonel des lanciers de la garde, fit le récit suivant à son respectable ami, le général Kosciusko[207]
. C’était la bravoure parlant en présence de l’héroïsme.Le colonel commença par dire qu’il commandait à Porto Longone, où il avait, outre ses lanciers, une garnison de trois cents fantassins. Six jours avant le départ, l’empereur le fit demander pour savoir le nombre de bâtiments qui se trouvaient dans son port. Il reçut l’ordre de les noliser, de les approvisionner et d’empêcher la sortie de la moindre barque. Le jour avant l’embarquement, il reçut ordre de payer trois mille francs pour une route que Napoléon faisait ouvrir. Il avait presque oublié l’embargo quand, le 26 février, pendant qu’il travaillait à son petit jardin, un aide de camp de l’empereur lui apporta l’ordre d’embarquer tous ses hommes à six heures du soir et de rejoindre la flottille devant Porto Ferraio, cette même nuit, à une heure indiquée. Il était si tard que le colonel ne put pas finir l’embarquement de ses hommes avant 7 heures et demie. On partit aussitôt. Il arriva avec sa petite flotte au brick impérial l’
Le colonel Jermanowski apprit de ses camarades que la garnison de Porto Ferraio n’avait reçu l’ordre de s’embarquer que le même jour à une heure, qu’ils n’avaient été à bord qu’à quatre heures, que l’empereur avec les généraux Bertrand, Drouot et son état-major était arrivé à huit, qu’alors un seul coup de canon avait donné le signal et qu’on avait mis à la voile. La flottille était composée de l’
Le vent qui était au sud et d’abord assez vif, tomba bientôt au calme plat. Lorsque le jour parut, on n’avait fait que six lieues et la flottille se trouvait entre les îles d’Elbe et de Capraia, en vue des croiseurs anglais et français. La nuit cependant n’avait pas été entièrement perdue, les soldats et l’équipage avaient été employés à changer la couleur extérieure du brick. Il était jaune et gris; on le peignit en noir et blanc. C’était un faible moyen d’échapper aux gens intéressés à observer l’île d’Elbe.