Читаем Berlin Requiem полностью

Goebbels, Christa le connaît. Un boiteux et un foireux, comme elle dit. Il est venu la féliciter dans sa loge, un peu avant l’accession au pouvoir. Il n’était que député, à cette époque, tout miel, tout sourires. Il avait vanté sa voix et ses qualités allemandes. Beau parleur, belle culture mais que du froid dans les yeux.

— Vous êtes l’expression même du Reich que nous devons bâtir, avait-il déclaré. Une arienne au plus beau et pur sens du terme.

Christa ne l’a pas pris au sérieux et l’a laissé baiser sa main avec un sourire hypocrite.

Elle regarde en direction du théâtre, la porte semble fermée. Rodolphe se grandit sur la pointe des pieds pour voir ce qu’il se passe au centre de la place.

— Ils ont allumé un grand feu ! s’écrie-t-il en apercevant des flammes qui dansent entre les badauds.

— Un grand feu ?

— Oui.

Christa se fraie un passage à travers la foule de plus en plus compacte. Elle joue des coudes. Rodolphe s’accroche à sa robe.

Et comme la nuit vient, le feu grandit. C’est beau, presque irréel. Les flammes se reflètent en dansant sur les visages exaltés des badauds. Ce n’est pas du bois que les étudiants jettent dans le brasier, mais des livres. Des livres qui ouvrent leurs ailes de papier avant de s’abîmer dans l’incendie. Et les étudiants crient, comme des automates, dialogue furieux entre un récitant et un autre, une messe apprise par cœur :

— Contre la lutte des classes et le matérialisme, pour la communauté nationale et un idéal de vie.

— Je jette dans le feu les écrits de Marx et de Kautsky.

— Contre la valorisation excessive de la vie pulsionnelle, qui dégrade l’âme, pour la noblesse de l’âme humaine.

— Je jette aux flammes les écrits de Sigmund Freud.

Christa recule, comme pour disparaître dans la foule et dans les Sieg Heil qui fusent de bouche en bouche. Plus personne ne la remarque.

Il fait nuit, à présent. Des escarbilles rouges montent vers le ciel noir. Le cœur de Rodolphe bat plus fort. Il est fasciné. Les yeux grands ouverts. C’est comme une symphonie, quelque chose du chaos. La violence de la foule l’enivre. Il se tait jusqu’à la maison. Christa non plus ne parle pas.

— Ce que tu viens de voir, mon chéri, c’est la fin de notre pays, murmure-t-elle, une fois la porte refermée.

Rodolphe ne l’écoute pas. Ce n’est pas la fin mais la nuit la plus fantastique de toutes. Il s’est senti soulevé par la foule, le ventre plein d’ardeur. Une fois dans sa chambre, il demande à Père ce qu’il en pense, mais Père n’a pas d’opinion.

9

Le 13 juillet 1934, une lettre arrive chez Furtwängler, un pli venu de Bavière. Des mots tracés nerveusement sur un beau papier.

Cher Papa,

Je pourrais, selon la nouvelle loi en vigueur sur les enfants illégitimes, porter votre nom. Ce serait un immense honneur pour moi. J’en ai fait la demande, Maman n’y voit pas d’objection. Je viens vous demander votre accord.

Votre fille qui vous aime

Friederike

Furtwängler donnera son accord. C’est une loi des nazis mais elle sonne juste, pour une fois.

Il n’a pas gardé de photos de la mère de Friederike. Un soir de chagrin, il a tout bazardé, croyant que les souvenirs de papier emportent avec eux les blessures du cœur. Il le regrette à présent, même si, au fond, c’est heureux.

Il aimerait revoir Martha, la comédienne du Schauspielhaus, très belle et très talentueuse, pleine de vie et de la joie à revendre. Elle avait deux ans de plus que lui. Peu importait, ils étaient amoureux. Quand elle a mis au monde Friederike, il a voulu l’épouser, son désir le plus fou. Elle a refusé. Et puis, plus tard, quand l’enfant était déjà une petite fille, elle aurait bien fondé un foyer, mais Wilhelm ne s’appartenait plus vraiment. Sa gloire l’écrasait et l’éparpillait en mille rencontres, de concert en concert, de théâtre en théâtre. Sa gloire l’écrase toujours. Elle pèse sur toute sa vie à présent, plus que jamais. De la gloire sombre qu’une lumière noire éclaire. Parce que Goebbels et Göring se le disputent. Avec Richard Strauss, il est l’un des « monuments vivants », comme disent les dignitaires du régime.

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