Читаем Berlin Requiem полностью

Friederike est venue deux ou trois fois chez son père, accompagnée de sa mère. Elle adorait courir dans l’immense appartement de la villa Die Fasanerie, tandis que ses parents discutaient de choses un peu secrètes, parfois à voix basse. Friederike ne savait pas ce que pouvaient bien se dire les amoureux à jamais séparés. Furtwängler ne faisait pas trop attention à sa fille. Elle était heureuse d’être un instant auprès de son père, ce si grand homme dont tout le monde parlait dans le Reich allemand.

Depuis que les nazis sont au pouvoir, Friederike et Martha ne lui rendent plus visite. Elles se trouvaient à Vienne, en 1933. Il dirigeait la Tétralogie et Parsifal. Il n’a pas voulu qu’elle entende Parsifal.

— Tu es trop jeune pour cet opéra, a-t-il tranché. C’est trop difficile.

Aujourd’hui, il trouve son attitude complètement stupide. La déception se lisait dans les yeux de sa fille. Elle était si fière de son père et il venait de la décevoir.

Furtwängler s’assoit à son bureau et rédige l’accord que lui réclame sa fille. Elle portera désormais son nom, et il en est fier. Il organisera une petite fête et lui offrira un beau cadeau, un bijou qu’il fera choisir par Berta Geissmar, sa secrétaire.

Distraitement, le chef d’orchestre écoute la radio qu’il allume dès le matin. Les programmes musicaux n’ont guère changé depuis l’arrivée au pouvoir des nazis. La seule nouvelle mélodie, c’est le discours politique jusqu’à la nausée. Goebbels tient sa radio et donne le tempo. Il en est le maître et la voix. Chaque discours de Hitler est radiodiffusé.

Furtwängler tend l’oreille. La Symphonie n° 40 de Mozart lui paraît bien rapide. Ce doit être Herbert von Karajan qui la dirige. Un nazi celui-là, un vrai membre du parti. Furtwängler ne l’aime guère. C’est un ambitieux prêt à toutes les compromissions.

Le musicien signe sa reconnaissance en paternité. Parfois, il pense aux autres enfants qu’il a peut-être laissés dans le secret de ses amours éphémères. Il séduit. Sans doute trop. C’est parfois comme une frénésie. Une faim jamais rassasiée. Beaucoup de femmes se donnent à lui. Beaucoup veulent être la maîtresse du plus grand des chefs. Aucune ne l’accroche. Et il n’en souffre pas. Le souvenir de Martha demeure trop fort. Il l’aime toujours, c’est comme une mélodie sombre et lancinante qui ne passe pas et le chavire encore. Alors, ses amours deviennent autant de désertions.

Il joint à son courrier, une carte sur laquelle il note :

Ton papa qui t’aime et qui languit de te revoir.

Sur le point de couper la radio, il retient son geste. D’une voix nasillarde, le présentateur interrompt les programmes pour annoncer la diffusion d’un discours du Führer aux membres du Reichstag. L’heure est grave. Hitler parle. Le ton est posé, un peu chantant, d’un calme étrange. Il prétend avoir déjoué une tentative de coup d’État. C’est grâce à la SS, dit-il, que la rébellion a été matée. La SA est démantelée. Le Führer cite des noms. Ceux de Röhm et Schleicher reviennent souvent. Des noms que Furtwängler connaît mal. Le ton monte, la voix de Hitler se fait métallique, son horrible accent s’en mêle. Le chef d’orchestre écoute. Il se murmure, dans les cercles qu’il fréquente, que des assassinats politiques sont perpétrés à travers l’Allemagne, beaucoup plus que ce que signale la propagande officielle. Des dizaines et des dizaines de SA sont assassinés. Hitler parle de Röhm le traître, l’ami qui a voulu poignarder la révolution dans le dos. Il éructe et s’en prend aux ennemis du Reich, toujours les mêmes.

Depuis le début de l’été, un communiqué de presse circule, un texte de Goebbels ou d’un de ses sbires. Furtwängler l’a lu. La propagande y parle de l’homosexualité de Röhm, des tares sexuelles des membres de la SA que les SS ont retrouvées avec des prostitués.

Hitler dit :

Quiconque s’élève contre l’Allemagne est traître à la patrie. Quiconque est traître à la patrie ne doit pas être jugé d’après l’étendue de ce qu’il a fait mais d’après ce qu’il voulait faire. Celui qui se place sous le signe de la déloyauté, de l’infidélité à ses promesses les plus sacrées ne peut attendre rien d’autre que ce qui lui est arrivé.

— Et tout le monde applaudit, enrage Furtwängler, en manquant renverser la radio d’un geste de colère. Même le vieil Hindenburg. Pauvre sénile. Cochon.

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