Читаем Berlin Requiem полностью

— La chambre. Le gaz. Si tu déconnes, on te gaze. Compris ?

Le soir, Christa revient dans le bloc de la quarantaine et s’allonge sur sa portion de châlit. Dans la soirée, on lui fait passer un papier. Ordre de se présenter le lendemain, de bonne heure, au bloc de l’orchestre.

22

L’appel dure plus d’une heure, dans l’air humide et chaud qui empeste la chair grillée et la boue. Il a plu dans la nuit. Au loin, les cheminées des crématoires s’élèvent dans la lumière de craie.

Christa se sent comme un automate qui obéit à une gigantesque mécanique. Il n’y a que le silence et les hurlements des SS et des kapos. Sa voisine vacille sur ses jambes, son corps maigre et douloureux tangue. Une odeur d’excréments se répand dans l’air. D’un geste discret, comme elle le faisait quand elle était en scène, Christa la maintient droite. La kapo, qui ne cesse de faire les cent pas devant le block au garde-à-vous, n’a rien vu. Elle a un drôle de visage, celle-là, massif et vulgaire, sale, avec deux gros yeux bleus. Quand on prononce son matricule, Christa se raidit et fait un pas en avant.

Un vent léger accompagne le lever du soleil. Une mélodie flotte dans le camp, impossible de savoir d’où elle provient, peut-être du camp des hommes. Une musique de fanfare, un peu grotesque, que Christa ne parvient pas à identifier, sans doute une de ces marches gorgées de flonflons d’accordéon dont les Allemands se régalent lors des fêtes populaires ou dans les brasseries.

Christa s’éloigne du bloc de la quarantaine. Une kapo l’intercepte. Elle a un visage triste, une expression de bonté, inattendue.

— Tu es nouvelle ?

— Oui.

— Où vas-tu ?

Christa se découvre et sort la feuille de papier de sa poche.

— Au bloc des musiciennes.

— Tu as de la chance, toi.

La kapo la dévisage puis lève le bras et désigne une allée plus large que les autres.

— C’est là-bas, le troisième bloc à droite, lui dit-elle plus sèchement.

Christa marche rapidement, évitant les brouets d’eau pourrie aux abords des baraques, les yeux rivés sur chacun de ses pas. La maison de l’orchestre est un long bâtiment en bois, semblable aux autres si ce n’est qu’il dispose de grandes fenêtres. Des rats couinent sous l’escalier en bois. Christa n’a jamais vu autant de rats. La porte s’ouvre, Alma paraît, l’air contrarié.

— On t’attendait, dépêche-toi.

Une chef SS est là, une très belle femme, grande, blonde, fine, l’uniforme gris impeccable. Une parfaite représentante de la race arienne. Elle est la vraie responsable de l’orchestre, et a le pouvoir de décider qui peut jouer ou pas. Alma se trouve à sa gauche.

— Salue l’Oberaufseherin Mandl qui te fait l’immense l’honneur de t’accueillir en personne.

La SS a su que Christa Meister se trouvait dans le camp.

— Mon père adorait vos enregistrements, dit-elle. Surtout ceux avec Furtwängler. J’en ai quelques-uns chez moi.

Le compliment ne fait aucun effet à la cantatrice qui essaie pourtant de répondre avec un sourire reconnaissant. Depuis son arrivée à Birkenau, elle est anesthésiée. Elle n’a jamais été artiste pour les flagorneries. On ne peut pas chanter avec des compliments.

— Installe-toi au piano, ordonne Alma. L’Oberaufseherin Mandl aimerait t’entendre.

La SS scrute chacun de ses gestes. Elle ne doit pas avoir souvent une diva sous la main. Sans doute jamais. Elle s’est assise, a croisé ses longues jambes gainées de soie noire.

— Chante ce que tu veux. Tu es libre de choisir.

Christa s’assied. Les premières notes de musique la transportent. Un lied de Schumann que Rodolphe aime tant. Alma et la SS sont émues. Même la kapo écoute. Quand Christa s’arrête, la SS applaudit, sa cravache sous le bras.

— Mon Dieu, je n’ai jamais rien entendu d’aussi beau. Malheureusement, je dois vous laisser. Il faut venir chanter ce soir, pour celui qui a la dure charge de commander ce camp.

Mandl se lève et toutes les musiciennes avec elle. Avant de sortir, elle se retourne un instant et toise Christa.

— Il faut lui trouver un costume décent pour ce soir, dit-elle.

À la nuit tombée, des gardiens emmènent Christa et Alma jusqu’à la maison du commandant, à l’extérieur du camp. Dans l’après-midi, on lui a donné un chemisier et un pantalon civil qui ne lui vont pas trop mal. Seuls les mocassins qu’a dégotés Tchaïkowska sont trop grands.

— Je t’en trouverai à ta taille. Demain.

Il fait nuit, une chaleur, lourde et tenace, recouvre le camp. Toutes les lumières sont éteintes, même les plus minuscules. Depuis les premiers bombardements, le commandant du camp impose un couvre-feu intégral. Le trajet paraît interminable. Les femmes longent la voie ferrée jusqu’au camp d’Auschwitz I, à trois kilomètres de là. C’est une nuit de pleine lune. Les rails luisent d’un éclat livide. Un train est à l’arrêt sur une voie annexe, sans locomotive. Les portes des wagons grandes ouvertes. L’odeur de paille et d’excréments est insupportable.

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