Читаем Berlin Requiem полностью

Et puis vient le grand froid, le premier hiver. Il souffle tout doucement, sans violence, on dirait un être qui respire sans bruit, dans les rues de Paris. Il sèche la sève des hommes, fend les cœurs, comme il éclate lentement l’écorce des arbres. Les vieux disent que ce froid-là rappelle les hivers de la Grande Guerre.

Au printemps, Gilbert demande à Rodolphe de porter des paquets. Il lui a procuré des papiers, des faux parfaitement imités.

— Tu ne risques rien, c’est un policier qui les fait avec les appareils du commissariat.

Sur le vélo de Lucien, Rodolphe sillonne Paris. Les missions lui procurent une drôle de sensation. Chaque fois qu’il croise un policier, il sent le tambour du sang, le grondement, parfois. Ça tape dans sa poitrine et dans tout son cœur, la peur entre à flots et s’installe. Avant de refluer. Le sang tape moins fort, et c’est comme s’il était gorgé de désir. Et quand il s’en revient, il s’allonge sur son lit et imagine sa mère. Il sait qu’elle se trouve quelque part en Pologne, dans une province que le Reich a annexée. Gilbert n’en sait pas plus.

Rodolphe a perdu son accent, sauf pour quelques mots qu’il évite de prononcer. En dehors de Gilbert et d’un ou deux membres de son réseau, il ne rencontre quasiment personne.


Un deuxième hiver arrive, plus froid que le précédent. Dans le parc du Luxembourg, il a neigé au début janvier, et le gel est venu par-dessus. On dirait que la neige est vernie. Les enfants jouent avec. À la bataille, à coups de boules grosses comme leurs petites mains, peut-être une sorte d’exorcisme sans le vouloir. La guerre les cerne de partout, on dit que la grande Wehrmacht recule en Russie. Il se murmure que les Alliés ne vont plus tarder.

Berlin est bombardé. Rodolphe le sait par les journaux et ça lui fait mal. Il pense à sa chambre d’enfant, à Eva qui doit entendre hurler les bombes comme lui les a entendues quand les Alliés ont bombardé Boulogne, au printemps dernier. Un vrai massacre. Une blessure profonde le déchire, elle s’ouvre en se craquelant, un peu plus chaque fois que Radio Londres annonce que des raids aériens pilonnent son pays. Il imagine sa mère loin de tout ça, dans un camp de travail. Mais peut-être qu’Eva est restée à Berlin et qu’elle court se réfugier dans des abris quand les sirènes vrillent le ciel.

Le printemps surprend presque Rodolphe. Il manque se faire arrêter en sortant du bois de Vincennes. Un coup de sifflet. Une traction qui accélère. Il fonce entre les voitures, file jusqu’à la gare de Lyon, où il abandonne son vélo. On va le lui voler très vite. Tant pis, c’est trop risqué.

Gilbert dit :

— Il ne faut plus que tu sortes. Attends les instructions.

Il a l’air triste en disant cela. La mort rôde, mais Rodolphe s’en moque. La vie n’a plus vraiment le même goût depuis que Christa est partie.

Le 19 août, encore reclus, il ouvre sa fenêtre pour écouter les oiseaux. Il se dit que la Terre serait belle, que ce serait le paradis, même, sans cette maudite Allemagne. Les pelouses des jardins du Luxembourg sont couvertes d’hortensias blancs et violets et de fleurs à papillons jaunes. Un étrange silence enveloppe la ville. Le jeune homme se penche. Un premier coup de feu, au loin. Puis des rafales de mitraillettes. Rodolphe ne comprend pas grand-chose. Des pétarades dans des coins de Paris, rien de plus. La guerre est toute proche mais il n’a même pas peur, parce qu’il est dans son lopin de vie et qu’il pense s’en tirer.

Gilbert frappe. Il porte un brassard FFI au bras droit.

— Ça y est. Tiens.

Il tend un brassard et un sac. Dedans, deux vieux revolvers et une mitraillette.

— Apporte ça jusqu’à la rue de Rivoli.

Rodolphe obéit sans poser de questions. Du côté de l’Hôtel de Ville et vers le palais de justice, ça claque davantage, il l’entend bien, au fur et à mesure qu’il descend le boulevard Saint-Michel. On distingue clairement les panaches de poudre aux angles des immeubles et les éclats de poussière le long des façades.

Rodolphe traverse la Seine et se dirige vers la rue de Rivoli. Non loin de l’Hôtel de Ville, un groupe lui fait signe. Un homme avec des galons s’avance vers lui, méfiant.

— Qui t’envoie ?

— C’est Gilbert. Je suis Rodolphe.

— Je suis le capitaine Lambert.

Lambert vient de tirer sur un blindé allemand qui a été stoppé par un platane en travers de la rue de Rivoli. Les Allemands tentent de faire demi-tour. Lambert plaque fermement contre sa hanche la mitraillette que vient de lui remettre Rodolphe, vise et tire. Les balles font des trous dans les pierres des murs tout autour. La mitraillette manque lui échapper mais il finit par atteindre sa cible. Rodolphe est tétanisé, le claquement des culasses et les détonations ébranlent ses émotions. Lentement, une sorte de folie prend le dessus sur sa peur, l’envie de tirer à son tour, de faire mal, de tuer. De sortir de lui toute la merde que la guerre y a foutue.

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