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— Il est indiscutable que Furtwängler était identifié de manière notoire avec l’Allemagne nazie. En s’autorisant lui-même à devenir un instrument du parti, il donnait une aura de respectabilité au cercle de ceux qui sont actuellement en procès à Nuremberg pour crimes contre l’humanité. Il est inconcevable qu’il lui soit permis d’occuper un poste en Allemagne à un moment où nous essayons d’effacer toute trace de nazisme.

McClure enfonce le clou. Furtwängler a été nommé conseiller d’État par Göring en 1933. Il n’a jamais renoncé à ce titre honorifique. L’accord des Alliés met au ban quiconque a été membre du Conseil d’État après le 1er janvier 1934.

McClure ajoute :

— Furtwängler était vice-président de la Chambre de musique du Reich, autre organisation sur la liste noire, jusqu’à sa dispute avec le parti nazi en décembre 1934.

Furtwängler enrage. Le titre de conseiller d’État, il a demandé qu’il lui soit retiré. Hitler a refusé. Le petit Karajan est moins ennuyé que lui. Pourtant, il était membre du parti nazi et son agent était le SS Obersturmfüher Rudolf Vedder.

Furtwängler a des défenseurs qui précisent qu’il était antinazi, rappelant sa lettre à Goebbels en 1933 par laquelle il protestait contre le boycott des artistes juifs. Ils citent également la correspondance de Furtwängler avec Göring où le chef d’orchestre demande à être soulagé de diriger des représentations d’opéra à Berlin en raison de divergences avec Tietjen, alors en charge du Staatsoper.

En décembre 1945, Yehudi Menuhin tente en vain de faire lever le boycott. À Vienne, la commission spéciale fait des investigations pour déterminer si Furtwängler est responsable de collaboration avec les nazis. Un poste est prévu pour lui dans la capitale s’il est blanchi.

Friedelind Wagner, petite-fille du compositeur Richard Wagner, entre dans la controverse sur Furtwängler. Elle affirme qu’elle l’a entendu, en 1936, défier la menace de Hitler d’être enfermé dans un camp de concentration. Friedelind Wagner s’est installée en Angleterre à cause de ses positions antinazies que sa mère, Winifred, n’a pas supportées. Quand on lui demande ce qu’elle pense de Furtwängler, elle déclare :

— Le chef d’orchestre était un être faible, mais il s’est toujours opposé au nazisme. Il y a douze ans, à Bayreuth, il a rencontré Hitler dans la maison de ma mère. J’avais seize ans à l’époque. Je me souviens très bien de Hitler se tournant vers Furtwängler et lui disant qu’il devrait s’autoriser lui-même à être utilisé par le parti à des fins de propagande. Je me souviens du refus de Furtwängler. Hitler se fâcha et dit à Furtwängler que, sinon, il y aurait un camp de concentration pour lui. Furtwängler resta silencieux durant un moment et répondit : « Dans ce cas, monsieur le chancelier, je serai en bonne compagnie. »

La commission autrichienne comprend sept membres. Elle statue sur le fait de savoir s’il faut autoriser Furtwängler à diriger la Philharmonie de Vienne. Les autorités alliées ont moins de pouvoir, ici. Le 22 février, elle décide de réintégrer le chef d’orchestre dans ses fonctions à la tête de l’orchestre viennois. Le succès est de courte durée. Quelques heures après la décision de la commission autrichienne, Berlin s’en mêle. Furtwängler ne peut pas diriger en Allemagne. Pas encore, peut-être jamais.

— Ne désespère pas, dit Elisabeth au téléphone d’une voix qu’elle veut rassurante. Il faut laisser passer du temps.

— De quoi allons-nous vivre ? Nous n’avons plus aucune économie.

La colère défigure le chef d’orchestre. Il est redescendu tout en bas de l’échelle de la société des musiciens. Combien rêvent de lui donner le coup de grâce ?

— Je ne suis pas encore à genoux.

Les chances d’avoir la possibilité immédiate de diriger la Philharmonie de Vienne ont probablement été anéanties par la déclaration du commandement américain en Allemagne, selon laquelle il ne peut pas diriger à Berlin. Et ne pourra pas travailler à Vienne. Ni en Suisse. Où aller ?

— Nous ne pouvons plus tendre la main pour nourrir nos enfants, dit Furtwängler.

— Je sais, Wilhelm.

Leo Borchard, le chef qui a repris les rênes du Philharmonique après le désastre, a été tué en août 1945 par une sentinelle américaine. C’est un jeune de trente-trois ans, un Roumain, qui le remplace. Sergiù Celibidache, un beau type au visage passionné, très exigeant. Furtwängler le connaît, ils s’écrivent régulièrement. Celibidache le vénère presque, il ne cherchera pas à prendre sa place et lui passera la baguette le moment venu. Celui qu’il faut craindre, c’est Karajan. Lui, il sait naviguer, et d’une drôle de façon. On dirait que les autorités d’occupation n’ont que faire de son passé plus que sombre. Pour le moment, les fidèles de Furtwängler le maintiennent au loin.

— Quand je serai mort, c’est lui qui me remplacera.

Elisabeth lève les yeux au ciel.

— Ne dis pas de bêtises, Wilhelm.

— Je sais ce que je dis. Les musiciens ne voudront pas de Celibidache et choisiront le petit K.

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Berlin. Mars 1946

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