Читаем Berlin Requiem полностью

En rentrant chez eux, Rodolphe entend une fois encore des arpèges au piano et des vocalises. Il reste un long moment à écouter dans la pénombre, l’oreille collée à la porte. La voix de Christa paraît intacte, avec ce timbre si puissant qu’elle avait dans le registre grave. Les aigus sont magnifiques, clairs. Elle monte jusqu’au contre-ut sans aucune difficulté, plusieurs fois, puis s’interrompt un instant. Rodolphe est sur le point de glisser la clef dans la serrure lorsqu’il entend le premier accord du Liebestod, le chant d’amour et de mort d’Isolde. Christa a conservé toute la justesse qui ne l’a jamais trahie.

Comme il sourit légèrement ;Comme ses yeux charmants s’ouvrent !Le voyez-vous, mes amis ?Comment ne le verriez-vous pas ?Comme il brille, toujours plus clair,Comme il s’élève, dans la lumière des étoiles !

40

Clarens. Suisse. 1954

En allant chercher le courrier, Elizabeth a surpris une conversation entre les jardiniers.

— Le maestro parle seul, en faisant de grands gestes, disait le plus vieux des jardiniers, celui qui vient d’Italie. Et puis il s’est assis sur le banc de bois dont la peinture verte s’écaille. Il toussait comme un vieux mineur. On aurait dit qu’il allait cracher de la calamine.

L’Italien a eu de la peine parce qu’il sait que l’homme qu’il croise, un peu fou et qui parle bien l’italien, est l’un des plus grands maestros de sa génération. Il a dirigé au Teatro alla Scala de Milan, sa ville natale, comme Arturo Toscanini, le dieu vivant.

Elisabeth passe en revue la vingtaine de lettres qui viennent d’arriver. Un pli venu de France accroche son regard. Elle a envie d’ouvrir l’enveloppe mais elle se retient, comme si un grand secret se tenait à l’intérieur.

Furwängler est au piano, voûté. On dirait qu’il a du mal à entendre les notes et qu’il se penche pour mieux écouter ce qui sort de la mécanique. Les accords mineurs qu’il travaille emplissent le salon d’une ambiance funèbre. Elisabeth pose la lettre sur le guéridon, à côté du fauteuil où il viendra invariablement s’asseoir.

— Je sors faire quelques courses. Je serai là pour midi, lance-t-elle en attrapant son manteau.

Le maestro n’a rien entendu. Il bute sur les notes qu’il destine aux violons. Cela fait plusieurs jours, déjà. Il enrage presque. Il rature une fois encore, reprend la mélodie au piano.

— On dirait du Hindemith !

De colère, il balance la partition en travers du salon. La large feuille plane un instant avant de se poser gracieusement sur le canapé. Cette journée n’est pas comme les autres. Il fait plus froid, un vent violent déplume les grands arbres du parc, laissant des squelettes aux troncs de géants au milieu du vert profond des sapins.

Furtwängler observe la lettre. L’écriture est celle d’une femme, une personne de son âge, les majuscules font de belles envolées. On n’écrit plus comme ça de nos jours, se dit le musicien. Ce doit être une artiste.

Il ouvre l’enveloppe, hésite, les mains tremblantes. Une feuille est pliée en deux.

Перейти на страницу:

Похожие книги