Cependant Barbe bleue, tenant un grand coutelas à la main, criait de toute sa force à sa femme: «Descends vite, ou je monterai là-haut.» — «Encore un moment s'il vous plaît», lui répondait sa femme, et aussitôt elle criait tout bas: «Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?» Et la sœur Anne répondait: «Je ne vois rien que le Soleil qui poudroie, et l'herbe qui verdoie.» — «Descends donc vite», criait la Barbe bleue, «ou je monterai là-haut.» — «Je m'en vais», répondait sa femme, et puis elle criait: «Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?» — «Je vois», répondit la sœur Anne, «une grosse poussière qui vient de ce côté-ci.» — «Sont-ce mes frères?» — «Hélas! non, ma sœur, c'est un troupeau de moutons.» — «Ne veux-tu pas descendre?» criait la Barbe bleue. — «Encore un moment», répondait sa femme, et puis elle criait: «Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?» — «Je vois», répondit-elle, «deux cavaliers qui viennent de ce côté-ci, mais ils sont bien loin encore... «Dieu soit loué», s'écria-t-elle un moment après, «ce sont mes frères, je leur fais signe tant que je puis de se hâter.» La Barbe bleue se mit à crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, et alla se jeter à ses pieds toute épleurée et toute échevelée. «Cela ne sert de rien», dit la Barbe bleue, «il faut mourir.» Puis la prenant d'une main par les cheveux, et de l'autre levant le coutelas en l'air, il allait lui abattre la tête. La pauvre femme se tournant vers lui, et le regardant avec des yeux mourants, le pria de lui donner un petit moment pour se recueillir. «Non, non», dit-il, «recommande-toi bien à Dieu», et levant son bras...