Informй du fait que le prisonnier s'йtait йvadй, le sйnateur sentit sa conscience soulagйe des accusations qui pesaient sur lui. Aprиs tout, se dit-il, il s'agissait d'un cas de moindre importance puisque le jeune, loin du cachot, retournerait immйdiatement chez son pиre ; et pour consolider sa tranquillitй, il donna des ordres aux chefs du service de sйcuritй, leur recommandant de s'abstenir de poursuivre le fugitif, а qui l'on donnerait le moment opportun venu, la grвce de la loi.
Toutefois, le chemin de Saul fut tout autre.
Dans presque toutes les provinces romaines agissaient de terribles groupes de malfaiteurs qui, vivant dans l'ombre de la machine de l'Йtat, s'йtaient transformйs en marchands d'вmes.
Le jeune Juif, dans sa jeunesse saine et prometteuse avait йtй victime de ces individus pervers. Vendu clandestinement а de puissants marchands d'esclaves de Rome, en compagnie de nombreux autres, il fut embarquй dans l'ancien port de Joppй, а destination de la capitale de l'Empire.
Anticipant la chronologie de notre rйcit, nous allons le retrouver quelques mois plus tard se tenant debout sur une grande estrade, prиs du Forum, oщ йtaient alignйs dans une affligeante promiscuitй des hommes, des femmes et des enfants, presque tous dans des conditions misйrables de nuditй, portant chacun d'eux une petite plaque accrochйe au cou. Les yeux fulminant de vengeance, Saul se trouvaient lа, а moitiй nu, un bonnet en laine blanche sur la tкte, les pieds nus lйgиrement couverts de plвtre.
Dans cette masse de crйatures infortunйes, allait et venait un homme а l'air abject et rйpugnant qui s'exclamait d'une voix criarde а la foule de curieux qui l'entourait :
Citoyens, ayez la bontй d'apprйcier... Comme vous le savez, je ne suis pas pressй d'йcouler ma marchandise car je ne dois rien а personne, mais je suis lа pour servir les illustres Romains !...
Et s'arrкtant а l'examen de tel ou tel malheureux, il poursuivait son harangue grossiиre et insultante :
Voyez ce jeune !... C'est un superbe exemple de santй, de sobriйtй et de docilitй. Il obйit au doigt et а l'њil. Observez attentivement la qualitй de sa chair ferme. Aucune maladie ne pourra avoir d'emprise sur son organisme.
Regardez bien cet homme ! Il parle couramment grec et il est bien constituй de la tкte aux pieds !...
Avec sa vйhйmence de commerзant vйreux, il poursuivait sa propagande individuelle face а une foule d'acheteurs qui le harcelaient. Puis vint le tour du jeune Saul, qui laissait transparaоtre dans son apparence misйrable toute sa rage et sa colиre :
Regardez bien ce garзon ! Il vient d'arriver de Judйe, c'est le plus beau spйcimen de simplicitй et de santй, d'obйissance et de force. C'est l'un des plus riches йchantillons de mon lot d'aujourd'hui. Voyez sa jeunesse, illustres Romains !... Je vous le donnerai au modeste prix de cinq mille sesterces !...
Le jeune esclave dйvisagea le marchand, l'вme bouillonnante de haine, il nourrissait en son for intйrieur les promesses les plus cruelles de vengeance. Ses traits juifs impressionnиrent la foule prйsente ce matin-lа ; sa personne intйressante et fort originale suscita un йlan de curiositй.
Un homme se dйtacha de l'attroupement, et se dirigea vers le nйgociant а qui il s'adressa а demi-voix, en ces termes :
Flacus, mon maоtre, a besoin d'un jeune йlйgant et fort pour les biges de ses enfants. Ce garзon m'intйresse. Tu n'en donnerais pas quatre mille sesterces ?
Soit - murmura l'autre sur un ton d'affaires -, mon intйrкt est de bien servir mon illustre clientиle.
Valйrius Brutus йtait l'acheteur, chef des services domestiques de Flaminius Sйvйrus, qui l'avait chargй d'acquйrir un esclave jeune et robuste pour le service des biges de ses fils, les grands jours de fкtes а Rome.
Ce fut ainsi qu'ivre de sentiments ignobles et dйplorables, Saul, le fils d'Andrй, fut introduit par la force des circonstances auprиs de Pline et d'Agrippa, dans la rйsidence de la famille Sйvйrus, au cњur de Rome, pour la misйrable somme de quatre mille sesterces.
CHEZ PILATE
La sйcheresse de la nature, oщ se dresse Jйrusalem, confиre а la cйlиbre ville une beautй mйlancolique touchйe d'une poignante monotonie.
А l'йpoque du Christ, le dйcor йtait dйjа celui que l'on peut observer de nos jours. Seule la colline de Miзpa, avec ses traditions douces et belles, rйvйlait un site vert et Joyeux oщ le regard du voyageur pouvait se reposer loin de l'ariditй et de l'ingratitude des paysages.