Livia, tu es tout ce qu'il me reste en ce monde !... Nos enfants sont les fleurs de ton вme que les dieux nous ont donnйes а ma grande joie !... Pardonne-moi, chйrie... Il y a si longtemps que je vis renfermй et taciturne, oubliant ton cњur sensible et aimant ! J'ai l'impression de m'йveiller maintenant d'un sommeil profond et douloureux, l'вme craintive et oppressйe. De tristes augures hantent mon esprit... Je crains de te perdre quand je voudrais te serrer contre ma poitrine et te garder йternellement dans mon cњur... Pardonne-moi...
Tandis qu'elle le contemplait, surprise, ses lиvres sиches couvraient ses mains de baisers ardents. Et ce ne fut pas seulement de tendres baisers qui jaillirent de ce dйbordement d'affection, une larme coula de ses yeux fatiguйs, se mкlant а la dйlicatesse de son йmotion.
Mais, Publius ? Tu pleures ? - s'exclama Livia, а la fois attendrie et angoissйe.
Oui ! Je sens les gйnies du mal assiйger mon cњur et mon esprit. Mon вme est peuplйe de sombres visions prйdisant la fin de notre bonheur ; mais je suis un homme et je suis fort... Chйrie, ne me nie pas ta main pour traverser ensemble le chemin de la vie car avec toi, je vaincrais mкme l'impossible !...
Elle frйmit face а ces confidences qui ne lui йtaient pas coutumiиres.
En un clin d'њil, elle revit la nuit antйrieure, se souvenant de l'intrйpiditй du gouverneur qu'elle avait dignement repoussй, йprouvant une souveraine tranquillitй et, prenant rapidement les mains de son mari affligй, elle l'emmena dans un coin de la terrasse, se plaзa devant une harpe harmonieuse et ancienne, et se mit а chanter doucement comme si sa voix, cette nuit-lа, йtait le gazouillement d'une alouette poignardйe :
« Вme sњur de mon кtre,
Fleur de lumiиre de ma vie,
Sublime йtoile tombйe
Des beautйs de l'immensitй !...
Quand j'errais de par le monde,
Triste et seul sur mon chemin,
Tu es arrivйe doucement,
Et tu as rempli mon cњur.
Envoyйe par la bйnйdiction des dieux,
Dans la divine clartй,
Pour tisser ma fйlicitй,
Avec des sourires de splendeur !...
Tu es mon trйsor infini,
Je te jure mon йternelle alliance,
Parce que je suis ton espйrance,
Comme tu es tout mon amour !"
II s'agissait d'une composition йcrite par Publius dans sa jeunesse, au goыt de l'йpoque, dйdiйe а Livia et que son talent musical gardait toujours pour les occasions spйciales.
А cet instant, nйanmoins, sa voix avait un timbre diffйrent, comme si une fauvette divine exilйe des prairies lumineuses du paradis, s'йtait enfermйe dans sa gorge.
А la derniиre note vibrante de tristesse et d'une angoisse indйfinissable, Publius la prit tendrement contre sa poitrine, fort et rйsolu, comme s'il voulait retenir а jamais dans son cњur, son joyau d'une inimaginable puretй.
Maintenant, c'йtait Livia qui pleurait copieusement dans les bras de son compagnon, et celui-ci l'embrassa, transportй par son вme loyale, parfois impulsive.
Aprиs cette envolйe sentimentale, Publius se sentit rassurй et serein.
- Pourquoi ne retournerions-nous pas а Rome le plus tфt possible ? - demanda LMa, comme si son esprit йtait йclairй par des lumiиres prophйtiques quant aux jours а venir. - Avec nos enfants nous pourrions reprendre nos obligations coutumiиres, conscients que la lutte et la souffrance sont partout et que toute joie reprйsente, en ce monde, une bйnйdiction des dieux!...
Le sйnateur rйflйchit а la proposition de sa compagne et analysa toute la situation pour finalement lui dire :
Ton commentaire est juste et providentiel, ma chйrie, mais que diraient nos amis quand ils apprendraient qu'aprиs tant de sacrifices supportйs pendant ce voyage, nous aurions dйcidй de ne rester qu'une semaine dans cette rйgion si lointaine ? Et notre petite malade ? Son organisme n'a-t-il pas rйagi de faзon positive au contact de ce nouveau climat ? Ayons confiance et gardons notre calme. Je hвterai notre dйpart pour Capharnaum et, dans quelques jours, nous serons dans un nouvel environnement, conformйment а nos souhaits.
Et c'est effectivement ce qui se passa.
Rйagissant йnergiquement aux vibrations pernicieuses du milieu oщ ils se trouvaient, Publius Lentulus rйsolut tous les problиmes concernant leur dйmйnagement. Il faisait la sourde oreille aux insinuations de Fulvia, tandis que Livia, s'appuyant sur la supйrioritй de son вme, cherchait а s'isoler dans le petit monde d'amour de ses deux enfants. Elle fuyait la prйsence du gouverneur qui n'abandonnait pas ses tentatives, et auprиs duquel la noble Claudia savait йveiller en tous la sympathie la plus sincиre.
Avant leur dйpart pour Capharnaum, deux servantes furent admises au service du couple ; elles n'йtaient pas Indispensables а l'exйcution des tвches domestiques, vu le grand nombre de serviteurs venus de Rome ; nйanmoins, le sйnateur avait йtudiй l'opportunitй d'une telle disposition, considйrant que sa famille et lui finiraient par avoir un contact plus direct avec les coutumes et les dialectes du peuple, et que toutes deux connaissaient la Galilйe.