Il y a 2000 ans

А cette heure, dйjа vaincu par ce supplice, le vieillard Vit sans crainte l'acte suprкme qui mettait fin а ses souffrances. Il eut la sensation qu'un instrument йtrange ouvrait sa poitrine endolorie, suffoquйe par une angoisse mortelle.

D'un seul coup, il aperзut deux mains blanches, translucides, qui semblaient caresser affectueusement ses cheveux blancs.

Il remarqua que le dйcor s'йtait transformй tandis qu'il avait lйgиrement fermй les yeux, а cet instant pйnible.

Le ciel n'йtait plus le mкme, il n'avait plus devant lui des traоtres et des bourreaux. L'ambiance йtait saturйe d'une douce lumiиre rйconfortante tandis qu'а ses oreilles parvenaient les suaves йchos d'une cavatine venue du ciel, entonnйe peut-кtre par des artistes invisibles. Il pouvait entendre des cantiques йpars, exalter les douleurs de tous les malheureux, de tous les affligйs du monde, alors qu'il entrevoyait йmerveillй le sourire accueillant d'entitйs lumineuses et belles.

Il lui semblait reconnaоtre le paysage qui l'accueillait. Il se sentait transportй dans les dйlicieux recoins de Capharnaum aux doux moments oщ il s'apprкtait а recevoir la bйnйdiction du Messie, jurant avoir йtй conduit par un processus mystйrieux dans une Galilйe aux fleurs plus abondantes et dans un plus beau firmament. Des oiseaux de lumiиre, comme des lyres ailйes du paradis, chantaient dans les arbres touffus et denses qui devaient кtre ceux de l'йden cйleste.

Il chercha а dominer ses йmotions dans les clartйs de cette terre promise qui, а ses yeux, devait кtre le pays enchantй du « Royaume du Seigneur ».

Pendant un instant, il se souvint de l'orbe terrestre, de ses derniers tourments et de ses douleurs. Une sensation de fatigue domina alors son esprit abattu, mais une voix, que ses oreilles reconnaоtraient parmi des milliers d'autres, parla doucement а son cњur :

Simйon, le temps du repos est venu !... Repose-toi maintenant de tes peines et de tes douleurs car tu es dans mon royaume oщ tu jouiras йternellement de la misйricorde infinie de Notre Pиre !...

Il lui sembla finalement que quelqu'un le prit contre sa poitrine avec le plus grand soin, plein d'affection.

Un doux baume endormit son esprit йpuisй et amer. Le vieux serviteur de Jйsus ferma alors ses yeux calmement caressй par une entitй angйlique qui posa lйgиrement ses mains translucides sur son cњur dйfaillant.

De retour au pйnible spectacle, prиs de la maison du vieil homme de Samarie, une foule de gens assistait, morte de terreur, а la funeste scиne.

Attachй au madrier, le cadavre du vieux Simйon rйpandait son sang par l'йnorme blessure ouverte dans son cњur. Sa tкte pendait en avant comme si elle demandait le repos de la terre gйnйreuse, sa barbe vйnйrable йtait teintйe de rouge, tвchйe d'йclaboussures car, tout en sachant que le coup d'йpйe avait йtй le coup final а ce monstrueux drame, Sulpicius ne cessait de flageller le cadavre fixй sur la croix infamante du martyre.

On aurait dit que les forces dйchaоnйes des tйnиbres s'йtaient complиtement emparйes de l'esprit du licteur qui, pris d'une furie йpileptique intraduisible fouettait le cadavre sans pitiй dans un torrent d'injures pour Impressionner la foule qui l'observait terrifiйe.

Voyez - s'йcriait-il furieusement -, voyez comment doivent mourir les Samaritains perfides et les sorciers meurtriers !... Vieux misйrable !... Emporte en enfer ce souvenir de plus !...

Et le fouet claquait impitoyable sur la dйpouille ravagйe de la victime dont il ne restait plus maintenant que de la chair ensanglantйe.

Cependant, а ce moment-lа, soit en raison de la croix qui йtait peu enfoncйe dans la terre et qui fut йbranlйe par les mouvements rйitйrйs et violents du supplice, ou par la punition des forces puissantes du monde invisible, on vit l'йnorme poutre se renverser а la vitesse de la foudre.

En vain, le licteur tenta d'йchapper а cette mort horrible. En l'espace d'une seconde, il comprit sa situation mais sa tentative de fuite fut inutile et il vit le haut de la croix s'abattre sur sa tкte d'un seul coup le plaquant au sol avec une rapiditй йtonnante. Sulpicius Tarquinius n'eut pas le temps de pousser un gйmissement. De la base de son crвne йclatй se rйpandait une masse encйphalique mкlйe de sang.

Immйdiatement, tout le monde accourut pour voir le corps du loup abattu, assassinй aprиs le sacrifice de la brebis. Un des soldats examina longuement sa poitrine oщ son cњur battait encore dans ses derniиres expressions d'automatisme.

La bouche du bourreau йtait ouverte, non plus pour crier des blasphиmes mais de sa gorge rougeвtre coulait une йcume de salive et de sang, telle la bave rйpulsive et ignominieuse d'un monstre. Ses yeux йtaient dйmesurйment ouverts comme s'ils fixaient йternellement dans les spasmes de la terreur, une interminable phalange de fantфmes tйnйbreux...