А cette йpoque, mкme si treize annйes s'йtaient йcoulйes depuis les pйnibles йvйnements de l'an 33, les traits de son visage n'avaient que lйgиrement changй. Ses cheveux avaient encore leur couleur naturelle et seules quelques rides, presque imperceptibles, accentuaient а prйsent ses joues d'une profonde austйritй. Une sereine tristesse planait constamment dans son regard, le poussant presque а s'isoler de la vie ordinaire pour ne se plonger que dans l'ocйan de ses papiers et de ses йtudes avec pour unique prйoccupation de la plus grande importance, l'йducation de sa fille qu'il cherchait а doter des qualitйs intellectuelles et sentimentales les plus йlevйes. Sa vie au foyer йtait restйe la mкme, mкme si son cњur а de nombreuses reprises lui avait demandй de renouer avec les liens conjugaux, tenant compte des treize annйes de sйparation intime dans la plus grande rйsignation de la part de Livia а toutes les distractions quelles qu'elles soient si ce n'йtaient celles de la vie domestique et de sa croyance fervente et sincиre. А seul avec ses mйditations, Publius Lentulus laissait divaguer sa pensйe dans les souvenirs les plus doux et les plus lointains et dans ces heures d'introspection, il entendait la voix de sa conscience qui montait de son cњur а son cerveau comme un appel а sa raison inflexible, essayant de dйtruire ses prйjugйs, mais l'orgueil avec sa rigiditй inйbranlable l'emportait toujours. Quelque chose lui disait au fond que sa femme йtait exempte de toutes souillures, mais immйdiatement, sa vanitй partiale lui rappelait la scиne inoubliable de son йpouse au moment oщ elle quittait le cabinet privй de Pilate vкtue d'un dйguisement, et sombre il entendait encore les paroles sarcastiques de Fulvia Procula avec ses calomnies йtranges et nuisibles...
Livia, quant а elle, s'йtait isolйe enveloppйe dans un voile de triste rйsignation comme si elle attendait des mesures providentielles qui n'interviennent jamais aux heures perturbйes d'une existence humaine. Son mari la conservait auprиs de sa fille dans le seul but d'assurer une prйsence maternelle, il ne lui permettait pas, nйanmoins, d'interfйrer dans ses projets et ses travaux йducatifs.
Pour Lidia, ce coup dur fut la plus grande souffrance de toute sa vie. Mкme la calomnie ne lui avait pas fait aussi mal ; mais кtre considйrйe comme dispensable auprиs de la fille de son cњur, йtait а ses yeux la plus douloureuse humiliation de son existence. C'йtait pour cette raison qu'elle se rйfugiait chaque fois davantage dans sa foi, cherchant а enrichir son вme souffrante dans les lumiиres de sa croyance fervente et sincиre.
Loin d'avoir conservй ses forces comme c'йtait le cas de son mari, son visage tйmoignait des agressions du temps avec son lourd fardeau de souffrances et d'amertumes. Sur son front que les douleurs avaient sanctifiй, apparaissaient dйjа quelques cheveux argentйs, alors que ses yeux profonds йtaient touchйs d'un йclat mystйrieux comme si leur propre lueur s'йtait intensifiйe а force de se fixer dans l'infini des cieux. Ses traits, bien qu'annonзant une vieillesse prйmaturйe, rйvйlaient encore sa beautй originelle, maintenant transformйe en une expression indйfinissable et noble d'affliction et de vertu. Lorsqu'elle se vit isolйe de ses affections les plus chиres dans l'ambiance familiale, dйtournйe du contact spirituel avec sa fille, ce qui affligeait encore davantage son cњur amer, elle ne fit qu'une seule demande а son йpoux, celle de lui permettre de continuer ses pratiques chrйtiennes, en compagnie d'Anne pour qui elle avait tant d'affection et dont l'esprit йtait rempli de dйvouement au point de renoncer aux opportunitйs qui lui йtaient offertes de constituer une famille. En ce sens, le sйnateur lui accorda une large libertй de culte, allant mкme jusqu'а lui offrir les recours financiers dont elle avait besoin pour s'occuper des nombreux ouvriers de la doctrine qui venaient discrиtement la voir et se soutenir а ses moyens matйriels pour prendre des initiatives rйnovatrices.
Quant а Flavia Lentulia sortie de son enfance malade et timide, dans la splendeur de ses vingt deux ans, exhibait les fruits de l'йducation que son pиre lui avait donnйe avec la forte expression personnelle de son caractиre et de sa formation spirituelle.
Par la grвce charmante de sa beautй, la fille du sйnateur ressemblait а Livia, et а Publius Lentulus dans son cњur. Flavia fut instruite par des professeurs йminents qui se succйdиrent au fil des annйes qui passиrent et qui furent choisis par les Sйvйrus qui ne nйgligиrent jamais leurs amis lointains. Elle connaissait parfaitement la langue de sa patrie, maоtrisait le grec avec la mкme facilitй et grвce а son contact permanent avec l'univers intellectuel de son pиre elle connaissait les auteurs les plus cйlиbres.