Il y a 2000 ans

L'йducation intellectuelle d'une jeune Romaine, а cette йpoque, йtait sans aucun doute secondaire et non sans failles. Les spectacles exaltйs des amphithйвtres ainsi que l'absence d'occupation sйrieuse pour les femmes en ces temps, en raison de l'incessante multiplication des esclaves а bas prix, nuisaient sensiblement а la culture de la femme romaine. А l'apogйe de l'Empire, l'esprit fйminin frфlait le scandale dans la dйpravation morale et dans la vie altйrйe.

Mais le sйnateur au fond avait conservй ses vieux principes. Il ne perdait pas de vue les vertus hйroпques et sublimes des matrones inoubliables des traditions familiales, et ce fut pour cela que fuyant son йpoque, il voulut former sa fille а la vie sociale avec la meilleure culture possible, bien que remplissant йgalement son cњur d'orgueil et de vanitй de tous les prйjugйs de son temps.

La jeune fille aimait sa mиre avec une extrкme tendresse, mais conformйment aux ordres de son pиre qui la gardait sans cesse auprиs de lui dans ses cabinets d'йtude ou lors de ses petits voyages habituels, elle ne cachait pas sa prйdilection pour l'esprit paternel dont elle prйsumait avoir hйritй des qualitйs les plus brillantes et les plus nobles, sans rйussir а comprendre la douce humilitй et la rйsignation hйroпque de sa mиre si digne et si malheureuse.

Le sйnateur avait cherchй а dйvelopper ses tendances littйraires en lui offrant la possibilitй d'acquйrir les meilleurs ouvrages intellectuels. Il admirait sa facilitй d'expression, principalement dans l'art poйtique si exaltй а cette йpoque.

Le temps passait avec un calme relatif pour tous ces cњurs.

De temps а autre, on parlait de la possibilitй de retourner а Rome, un projet dont la rйalisation йtait toujours diffйrйe dans l'espoir de retrouver l'enfant disparu.

Un beau jour du mois de mars alors que les arbres touffus se couvraient de fleurs, un messager venu de Rome arriva en hвte chez le sйnateur.

II s'agissait d'un йmissaire de Flaminius Sйvйrus qui dans une longue lettre informait son ami de son йtat de santй prйcaire et ajoutait qu'il dйsirait l'йtreindre avant de mourir. Ce document confidentiel йtait plein d'йmouvants appels qui suscitaient а l'esprit de Publius la plus grande pondйration. Mais la lecture d'une lettre signйe par Calpurnia, venue sйparйment, fut dйcisive. Dans celle-ci, la vйnйrable femme l'informait de la santй de son йpoux, qui а son avis йtait trиs prйcaire, et soulignait les tristes dйboires et les angoissantes inquiйtudes que tous deux vivaient concernant leurs garзons qui, dans la force de la jeunesse, s'adonnaient aux plus grandes dissipations, suivant le courant des extravagances sociales de leur йpoque. Elle achevait sa lettre йmouvante en demandant а leur ami de revenir et de les aider en cette heure, de sorte que leur amitiй et leur bienveillance paternelle soient une force modйratrice auprиs de Pline et d'Agrippa qui йtaient dйjа des hommes mais se laissaient emporter dans le tourbillon des plaisirs les plus nйfastes.

Publius Lentulus n'hйsita pas un instant.

Il montra а sa fille les documents reзus et, aprиs en avoir examinй ensemble leur contenu, il informa Livia de son intention de retourner а Rome а la premiиre occasion.

La noble femme se souvint alors combien sa vie serait diffйrente dans la grande citй des Cйsars avec les idйes qui йtaient les siennes а prйsent. Elle demanda alors а Jйsus que le courage nйcessaire ne lui manque pas pour vaincre toutes les luttes qu'elle aurait а supporter dans la sociйtй romaine pour conserver sa foi intиgre.

C'est ainsi que leur dйpart pour Rome ne tarda pas. Le mкme йmissaire rapporta les instructions du sйnateur а ses amis de la capitale de l'Empire et peu de temps aprиs, une galиre les attendait en Cйsarйe, reconduisant la famille Lentulus а Rome aprиs un sйjour de quinze annйes en Palestine.

Il est inutile de mentionner ici les petits incidents de parcours, telle йtait la banalitй des voyages а cette йpoque avec leur monotonie, les longues attentes et le pйnible spectacle des esclaves martyrisйs.

Mais а la veille de leur arrivйe, le sйnateur fit appeler sa fille et sa femme pour leur adresser la parole sur un ton discret :

- Avant d'accoster, je dois vous expliquer ma rйsolution concernant notre pauvre Marcus.

Depuis plusieurs annйes, je garde le plus grand silence а ce sujet envers ceux qui me sont chers а Rome et je ne dйsire pas кtre considйrй comme un mauvais pиre dans notre environnement social. Seule une circonstance, comme celle qui nous impose ce voyage, m'amиne а revenir, car rien ne justifie qu'un pиre abandonne son fils dans de tels parages, mкme torturй par l'incertitude de la continuitй de son existence.

J'ai donc dйcidй de rйpondre а ceux qui me le demanderaient que mon fils est mort il y a plus de dix ans, comme en fait cela devrait кtre pour nous autres, d'autant que nous serions bien incapables de le reconnaоtre dans l'hypothиse de sa rйapparition.