Voilа plus d'un an que je sens venir l'instant irrйmйdiable et fatal qui, maintenant que mon dйsir ardent est satisfait, doit arriver а la vitesse de l'йclair. Je ne voulais pas partir sans t'avoir serrй dans mes bras et sans te faire mes derniиres confidences sur mon lit de mort...
Mais, Flaminius - lui rйpondit son ami avec une douloureuse sйrйnitй -, tout me laisse croire que tu iras bientфt beaucoup mieux et nous attendons tous la bйnйdiction des dieux, afin de pouvoir compter sur ton indispensable compagnie pendant longtemps encore, parmi nous.
Non, mon bon ami, ne te fais pas d'illusions avec de telles hypothиses et de telles pensйes. Notre вme ne se trompe jamais lorsque les ombres de la sйpulture s'avoisinent... Je ne tarderai pas а pйnйtrer le mystиre de la grande nuit, mais je crois fermement que les dieux me salueront а la lumiиre de leurs aurores !...
Et tout en laissant son regard profond et serein se promener а travers la piиce comme si les murs en marbre se dilataient а l'infini, Flaminius Sйvйrus se concentra une minute plongй dans ses rйflexions et comme s'il voulait changer le cours de la conversation, il lui dit :
Tu te souviens de cette nuit oщ tu m'as confiй les dйtails d'un rкve mystйrieux au comble de ton йmotion douloureuse ?
Oh ! Si je m'en souviens !... - rйpondit Publius Lentulus se rappelant de maniиre inexplicable non seulement de cet entretien lointain qui avait dйcidй de son voyage en Palestine, mais aussi de cet autre rкve dans lequel il avait йtй tйmoin des mкmes phйnomиnes intraduisibles la nuit de sa rencontre avec Jйsus de Nazareth. Au souvenir de cette personnalitй merveilleuse, son cњur tressaillit, mais il fit son possible pour ne pas йmouvoir son ami et ajouta avec une йvidente sйrйnitй :
Mais pourquoi poses-tu cette question si aujourd'hui je suis plus que convaincu, tout comme toi d'ailleurs, que tout cela n'йtait que les simples impressions d'une fantaisie sans importance ?
Fantaisie ? - rйpliqua Flaminius comme s'il avait trouvй une nouvelle formule а la vйritй. - J'ai dйjа complиtement changй d'idйe. La maladie a йgalement de beaux et de grandioses bienfaits. Alitй depuis plusieurs mois, j'ai pris l'habitude d'invoquer la protection de Thйmis et ne voir dans mes souffrances que le pйnible rйsultat de mes propres mйrites face а la justice incorruptible des dieux, mais une nuit, je fus envahi d'impressions similaires aux tiennes.
Je ne me souviens pas avoir gardй d'apprйhension quant а ton rйcit, mais le fait est qu'il y a environ deux mois, je me suis senti pris dans un rкve qui se passait а l'йpoque de la rйvolution de Catilina et j'ai pu observer la vйracitй de tous les faits que tu m'avais relatйs seize ans plus tфt parvenant mкme а voir ton propre ancкtre, Publius Lentulus Sura, а qui tu ressembles йnormйment et qui est ton portrait surtout maintenant que tu as quarante-quatre ans et que tes traits sont bien marquйs.
Le plus surprenant, c'est que je me trouvais а tes cфtйs а suivre la voie d'aberrantes iniquitйs.
Je me rappelle nous avoir vus signer des sentences iniques et impitoyables, conduisant au supplice bon nombre de nos semblables... Mais ce qui me tourmentait le plus, c'йtait d'observer ta terrible attitude. Tu condamnais а la cйcitй nos adversaires politiques et tu assistais personnellement au dйroulement des tortures au fer rouge qui brыlait а jamais de nombreuses pupilles, aux cris de douleur des victimes sans dйfense !...
Publius Lentulus йcarquilla les yeux, йpouvantй, partageant йgalement les souvenirs qui sommeillaient au fond de son вme tourmentйe et rйpliqua finalement :
Mon bon ami, apaise ton cњur... De telles impressions semblent reflйter des йmotions plus fortes restйes au fond de ta mйmoire par mon rйcit de cette nuit-lа, tant d'annйes en arriиre !...
Toutefois, Flaminius Sйvйrus esquissa un lйger sourire comme s'il comprenait l'intention gйnйreuse et rйconfortante de son ami et rйpliqua avec une bontй sereine :
Je dois te dire, Publius, que ces tableaux ne m'effraient pas et si je te parle de ces йmotions complexes, c'est parce que j'ai la certitude que je vais quitter cette vie et que toi, tu resteras encore peut-кtre pendant longtemps sur la face de la terre. Il est possible que les souvenirs de ton esprit affleurent encore, alors, je veux que tu acceptes la vйritй religieuse des Grecs et des Йgyptiens. Je crois, а prйsent, que nous avons de nombreuses vies dans diffйrents corps. Mais si je sens que mon pauvre organisme est sur la fin, ma pensйe est plus vive que jamais et ce n'est qu'en de telles circonstances, je prйsume, que je comprendrai le grand mystиre de nos existences. Il me pиse au fond d'avoir pratiquй le mal dans un passй tйnйbreux, bien qu'il se soit йcoulй plus d'un siиcle depuis ces tristes йvйnements de nos visions spirituelles ; nйanmoins, je suis lа face aux dieux, la conscience en paix.