« Je me plaignis aussi amèrement des excès de la S.A. et demandai des sanctions contre les éléments responsables, pour que des millions de braves membres du Parti n’aient pas leur honneur atteint par l’action d’une minorité ».
C’est moins d’honneur que de prudence qu’il s’agit. Roehm s’est défendu pied à pied montrant qu’il a fait faire des enquêtes, qu’il a châtié déjà, « qu’il ferait le nécessaire pour rétablir l’ordre », attaquant à son tour, démasquant ceux qui veulent nuire à la Sturmabteilung, aux Alte Kämpfer. Puis les deux hommes sont sortis, après cinq heures d’entretien.
LE COMMUNIQUE DE ROEHM
Cependant, quand il justifie, dans son discours du 13 juillet, la répression devant l’Allemagne, Hitler ne dit pas l’essentiel. Dès le mardi 5 juin pourtant le S.D. et la Gestapo sont avertis qu’un accord sur plusieurs points » a été passé entre Roehm et Hitler. Il ne touche pas au fond de leur opposition, mais il montre que les deux hommes ont conclu une trêve. Heydrich et Himmler, puis von Reichenau, en étudient les termes. Le siège de la Gestapo et la Bendlerstrasse sont en communication permanente. Apparemment tout est clair : ainsi qu’il avait été décidé le 20 avril, la S.A. est mise en congé durant le mois de juillet. Roehm a déjà fait savoir qu’il allait prendre un repos bien gagné durant le mois de juillet et en riant a annoncé qu’il irait à Bad Wiessee, faire une cure pour ses rhumatismes et ses blessures. Aux chefs S.A. qui l’attendaient avec impatience, il a simplement déclaré que Hitler voulait dissiper les malentendus, qu’il rencontrerait tout l’État-major de la Sturmabteilung à Wiessee même, avant le départ en congé de la S.A., pour faire le point sur l’avenir du mouvement Roehm n’a fait aucun autre commentaire. Il a parlé de Wiessee qu’il connaît bien, du lac, des eaux thermales. Déjà il délègue ses pouvoirs au Gruppenführer von Krausser, son adjoint à l’État-major de la S.A. Ses paroles, cette décision sont connues dès le mercredi 6 au siège de la Gestapo. Les agents de Heydrich en service chez les S.A. font leur rapport : les chefs de la Sturmabteilung ont tout accepté. Les uns, un peu inquiets, se demandent si leur mise en congé n’annonce pas un putsch de la « Reaktion » contre Hitler ; les autres, les plus nombreux, se réjouissent. Les vacances, n’est-ce pas aussi l’un des avantages que donne le pouvoir !
Karl Ernst, le commandant S.A. de Berlin, l’ancien portier d’hôtel est le plus heureux. Il s’est lancé dans un long rêve à haute voix. Il parle de soleil, d’îles, d’océan comme un nouveau riche satisfait, il prépare son voyage de noces – il vient de se marier et Hitler a été son témoin – les Canaries, Madère, pourquoi pas ? Il demande qu’on lui réserve un passage sur un paquebot en partance de Brème à la fin du mois de juin. Le Gruppenführer Georg von Detten, chef du service politique de l’État-major S.A. prend ses dispositions pour se rendre à Bad Wildungen, une petite et charmante station thermale, entourée de parcs et située sur la Wilde, un affluent de l’Eder. Là, à quelque cent cinquante kilomètres de Cologne, il pourra lui aussi soigner ses rhumatismes. D’autres préparent des voyages à l’étranger ; certains louent des chambres, des maisons pour leurs familles. Tous les rapports convergent et font naître l’inquiétude au 8, Prinz-Albrecht-Strasse : il sera difficile d’accuser ces hommes absents, en vacances, de préparer un putsch. Le piège monté minutieusement par Heydrich, Himmler, Goering, le piège approuvé par von Reichenau risque de ne pas fonctionner si on laisse la S.A. partir en congé durant le mois de juillet. Pour la détruire il faut frapper avant la fin du mois de juin, il faut convaincre Hitler avant le samedi 30 juin.
Heydrich et Himmler étudient toutes les possibilités d’action. C’est alors que, dans la soirée du jeudi 7 juin, est transmis au siège de la Gestapo le texte d’un communiqué de l’État-major de la Sturmabteilung. Il doit être publié dans les heures ou les jours qui viennent (il le sera le 10 juin par la National Zeitung). Heydrich est le premier à le lire et immédiatement avec cette intelligence en éveil que donne la chasse, il voit tout le parti qu’on peut tirer de cette proclamation où l’orgueil et l’imprudence d’Ernst Roehm éclatent.
« J’espère, écrit Roehm, que le 1er août, la S.A. bien reposée et pleine d’une vigueur nouvelle sera prête à remplir les glorieuses missions qu’elle doit au Peuple et à la Patrie. Si les ennemis de la S.A. espèrent ne pas la voir revenir, ou n’en voir revenir qu’une partie, qu’ils profitent de leurs illusions pendant quelque temps. Le jour venu, et dans la forme qui se révélera nécessaire, ils recevront une réponse adéquate. La Sturmabteilung est, et restera le destin de l’Allemagne ». La dernière phrase claque comme une gifle : Hitler n’a pas convaincu Roehm. Le chef d’État-major, l’officier de tranchée aux manières rudes n’accorde qu’un sursis. Il n’a renoncé à aucune de ses ambitions.