Seldte s’est rallié à Hitler, Seldte a poussé son organisation vers le nazisme. Mais Seldte et les Casques d’acier, à Magdebourg comme à Halle, ne sont pas en faveur auprès des membres de la Sturmabteilung : à entendre les S.A., ces hommes n’ont rien fait pour la conquête du pouvoir et ils ont simplement couru vers le camp vainqueur. Quand le ministre Seldte arrive à Magdebourg, seuls les Casques d’acier et des représentants de la Reichswehr sont là pour l’accueillir. Dans la salle, près du Domplatz, alors qu’il s’apprête à prendre la parole, des S.A. interviennent ; il est bousculé, arrêté. Les hommes de la S.A. entrent dans la salle, dispersent la réunion, Seldte est entraîné, maintenu quelques heures sous surveillance par la Sturmabteilung. Des témoins appartenant à la Reichswehr et aux Casques d’acier ont essayé en vain de s’interposer, puis ils ont tenté de prendre contact avec le préfet de police, qui est aussi le général de la Sturmabteilung, Schragmuller. Le général-préfet est introuvable. Avec des sourires ironiques, son État-major répond qu’il est en tournée d’inspection ; quand les témoins insistent, racontent l’incident, criant presque que Seldte est ministre du Reich, on leur déclare tout ignorer de l’affaire. Dans son commentaire, le général Schragmuller se contentera de déclarer que Seldte n’avait pas été reconnu, qu’une enquête était ouverte.
A Berlin, au ministère de l’Intérieur, Nebe, Gisevius et tous ceux qui prennent connaissance de tels commentaires et de tels événements ne peuvent que conclure à la complicité bienveillante du préfet S.A. et à sa volonté de ne pas rechercher les coupables. Pourtant, ce même lundi 11 juin, le journaliste Erich Seipert, qui passe pour bien informé et dont les articles reflètent l’opinion du gouvernement du Reich, fait paraître un article intitulé « Sturmabteilung et désarmement », qui laisse entendre que les relations entre la S.A., la Reichswehr, le Parti, sont excellentes et que cela annonce une période de paix pour l’Allemagne. Manifestement dans les milieux proches de Hitler on essaye de rassurer l’opinion, peut-être même veut-on faire comprendre aux différents clans que le Führer reste partisan d’un accord entre tous ceux qui l’ont soutenu.
Rien d’étonnant donc si le mardi 12 juin aucun des journaux allemands ne fait mention des incidents de Halle ou de Magdebourg. Mieux, ce mardi une rencontre qui n’est connue que de quelques personnes marque que rien n’est encore tranché.
ROEHM ET GOEBBELS
C’est au début de la matinée que le propriétaire de la brasser Nürnberger Bratwurstglökl am Dom, située au n° 9 de la Frauenplatz à Munich, reçoit un visiteur qui lui demande de réserver une salle particulière pour la soirée, deux personnalités importantes devant s’y rencontrer. Le propriétaire comprend immédiatement qu’il s’agit de membres du Parti et il confirme qu’on peut compter sur la salle et sur son absolue discrétion.
La brasserie Bratwurstglöckl est bien connue à Munich : ses saucisses grillées sont célèbres dans toute la ville. Placée sur cette admirable Frauenplatz où convergent quatre rues, elle fait face à l’un des côtés de l’église Notre-Dame, la Frauenkirche, dont la raide grandeur, l’austère dessin sont un peu corrigés par la rougeur des briques et le blanc du marbre des pierres tombales insérées dans la façade. C’est un îlot du vieux Munich : la Frauenkirche a été construite au XVeme siècle.