Les services de Berlin sont avertis par Bonn de l’incident. Himmler et Heydrich réunissent immédiatement leur État-major . Le général Reichenau est présent à la réunion qui se tient au siège de la Gestapo. Les premières décisions concernant la mise en oeuvre du plan de liquidation des opposants – et d’abord naturellement des S.A. – sont prises et transmises. Ce vendredi 22 juin, l’Oberabschnittsführer S.S. Freiherr von Eberstein reçoit l’ordre de mettre ses troupes en état d’alerte. Reichenau pour sa part s’engage à avertir les cadres supérieurs de la Reichswehr de l’imminence de l’action. Ce jour-là aussi, on essaie de prévenir la chancellerie du Reich. Mais le Führer vient de quitter Berlin. À peine rentré de Neudeck, après une nuit passée dans l’austère et massif bâtiment officiel, il a, tôt le matin de ce vendredi, gagné l’aéroport de Tempelhof, pris son avion et décollé vers la Bavière, les montagnes apaisantes de l’Obersalzberg et de Berchtesgaden. Fuite, refus de choisir, souci de laisser faire les autres et le temps ? Hitler ressemble à l’un de ces rois hésitants qui se réfugient loin des complots qu’ils ne veulent pas voir, ou bien à l’un de ces oiseaux de proie qui tournoyaient dans le ciel de l’Allemagne avant de plonger comme une pierre sur leurs victimes.
Il vient donc de quitter Berlin laissant une fois de plus les chefs de la S.S., de la Gestapo et de l’armée dans l’incertitude. Mais maintenant, les hommes du Freiherr von Eberstein dans les casernes S.S. vérifient leurs armes, les gardes sont renforcées, les permissions supprimées. Hitler semble ne rien vouloir savoir de tout cela, de ce grouillement d’ombres qui placent leurs pièges et préparent l’assaut.
Ils utilisent tous les événements, les faits divers pour accroître l’inquiétude. Le vendredi 22 juin, toujours, un corps affreusement mutilé est découvert à Gollmütz, près de Schwerin, dans cette région où les collines boisées et les lacs donnent au Mecklembourg le visage d’une contrée riante et douce. Le corps est là, dans l’herbe : les bras sont presque détachés du tronc, le cou est à demi tranché comme si le meurtrier avait essayé en vain de dépecer le cadavre. Les officiers de police, le médecin légiste, les fonctionnaires de l’identité judiciaire entourent le corps. Finalement un témoin reconnaît la victime : il s’agit du régisseur Elsholtz qui administre un domaine avec l’autorité de ces « chefs » d’exploitation agricole rudes avec la terre, les animaux et les hommes. Mais Elsholtz n’est pas que cela : il est aussi trésorier général du parti nazi. Le meurtre dès lors devient une affaire politique. Un certain Meissner est arrêté, il serait le coupable, assassin par vengeance, ulcéré par ces rivalités « paysannes » qui rongent les hommes liés au sol. Cependant les milieux nazis ne se contentent pas de cette explication : Meissner serait proche des milieux catholiques ; l’agence D.N.B. dément mais le bruit est répandu à Berlin par les agents de Heydrich et de Himmler. L’enquête d’ailleurs s’oriente vers la thèse du meurtre politique : 11 personnes sont arrêtées dont 9 font partie de la Deutsche Jugendkraft, organisation de la jeunesse catholique. Le samedi 23 juin, le Westdeutscher Beobachter, publie un article incendiaire, le parti catholique Zentrum, le journal du Zentrum, Germania, sont déclarés responsables de l’assassinat d’Elsholtz : si ces milieux n’attaquaient pas constamment les nazis, écrit le journal nazi, de tels actes ne se produiraient pas. Messieurs les catholiques conservateurs poussent au meurtre des bons Allemands ! L’accusation est précise et elle contient une menace grave. Les hommes du Zentrum protestent, mais leurs démentis se perdent dans le flot des nouvelles orientées. La tension monte donc et les dirigeants nazis l’utilise pour préparer l’opinion.
Le samedi, à Potsdam dans la ville de Frédéric le Grand, a lieu l’enterrement d’Elsholtz. La cérémonie est imposante : les tambours résonnent lugubrement dans la grande allée qui conduit à la Nikolaikirche, la grande église à dôme, qui se trouve sur la place de l’Altmarkt. Le cortège s’approche d’un pas lent, les groupes se scindent passant de part et d’autre de l’obélisque dressé au milieu de la place, décoré de médaillons du Grand Électeur et des trois premiers grands rois de Prusse. Le cortège funèbre avance : en tête marchent le ministre Ley et le Gauleiter Oberpräsident de Berlin Kube. Après la cérémonie à la Nikolaikirche, le cortège s’ébranle à nouveau, se dirigeant vers le cimetière de Potsdam : là, l’inhumation a lieu alors que s’inclinent les étendards à croix gammée. Les nazis ont un nouveau martyr.
Après la cérémonie à Potsdam, les personnalités regagnent Berlin rapidement : la plupart sont mobilisées pour prendre la parole à l’une ou l’autre des grandes manifestations que les nazis continuent d’organiser pour célébrer la fête païenne du Solstice d’été.
LA MISE EN CONDITION.