À quelques dizaines de kilomètres de Munich, jeudi 28 juin, alors qu’on distribue ces munitions, Roehm, que le corps des officiers a abandonné, fait expédier les premiers télégrammes qu’il adresse aux Obergruppenführer des S.A., aux principaux chefs et inspecteurs des Sections d’Assaut pour les convoquer à la réunion du samedi 30 juin 1934 à 11 heures, en présence du Führer. Dans la pension Hanselbauer, l’atmosphère est toujours à la confiance, à l’attente tranquille de l’arrivée du Führer. Roehm est allé en personne à l’hôtel Vierjahreszeiten pour indiquer au directeur que la présence du Führer est confirmée et qu’il importe de veiller tout particulièrement au banquet. La garde personnelle de Roehm assurera la protection du Führer et dès le vendredi 29 juin, elle viendra protéger l’hôtel. Puis le chef d’État-major est rentré à la pension Hanselbauer.
À Berlin, les premières épreuves d’un texte, des feuilles grasses encore d’encre noire, viennent d’être posées sur les larges tables de l’imprimerie. Deux officiers d’état-major, envoyés de la Bendlerstrasse, sont là, à les lire attentivement avec le rédacteur en chef, cependant que tournent les rotatives et que dans le bruit feutré du papier que l’on presse et de l’encre qui s’imprègne, minutieusement, les deux officiers lisent le texte. « La Reichswehr se sent en union étroite avec le Reich d’Adolf Hitler. Les temps sont passés où les gens intéressés des divers camps se posaient en oracles de l’énigme de la Reichswehr. Le rôle de l’armée est clairement déterminé : elle doit servir l’État national-socialiste qu’elle reconnaît. Son coeur bat à l’unisson avec le sien... Elle porte avec fierté l’insigne de la reconnaissance allemande sur son casque et sur son uniforme. Elle se range disciplinée et fidèle, derrière les dirigeants de l’État, derrière le Maréchal de la Grande Guerre, le président von Hindenburg, son chef suprême, ainsi que derrière le Führer du Reich Adolf Hitler, qui, issu des rangs de l’armée est et restera toujours l’un des nôtres. » Au bas de l’article, un nom en grosses lettres, général von Blomberg, ministre de la Défense : Gummilöwe (le lion en caoutchouc).
Les officiers donnent leur accord : l’article de l’homme qui incarne l’armée va être imprimé en première page du Völ kischer Beobachter du vendredi 29 juin. Il dit que la Reichswehr, par la plume de la plus haute autorité, approuve par avance les actions du Führer. Déjà, la Reichswehr a, ce matin, rejeté Roehm de ses rangs, maintenant elle proclame que, prête à suivre Hitler, avant même que les premières rafales claquent elle accepte toutes ses décisions.
Il reste au Führer, alors que les premiers exemplaires du journal s’entassent les uns sur les autres dans l’imprimerie berlinoise, à choisir, à agir.
7
SAMEDI 30 JUIN 1934
En vol au-dessus d’Augsbourg, 3 heures 30
(Vendredi 29 juin au samedi 30 juin 1934)
MUNICH DANS 25 MINUTES
Samedi 30 juin, 3 h 30. Le pilote se penche vers le Führer et lui montre à gauche de l’appareil la ville d’Augsbourg dont on distingue avec précision le dessin des rues brusquement coupées par la nuit environnante, quand cessent les quartiers éclairés. Le temps de situer les points lumineux et c’est déjà la plaque sombre du sol enfoui dans la nuit qui recommence. Pourtant, dans cette nuit d’été qui s’achève, le jour, le jour de ce samedi 30 juin 1934, commence à poindre, à peine sensible parce que l’est paraît plus délavé. Dans le Junker du Chancelier les conversations qui s’étaient interrompues depuis un long moment recommencent. La radio vient d’annoncer que l’avion était pris en charge par le contrôle de Munich : tout est prêt pour l’atterrissage de l’appareil sur la piste de Munich-Oberwiesenfeld. Le Führer demande au pilote dans combien de temps on touchera le sol. Environ vingt-cinq minutes.
Vingt-cinq minutes : une infime parcelle de temps, le dernier et bref répit avant d’être plongé dans l’action, de voir sur la piste, des hommes qui attendent les ordres. Ce vol depuis Bonn-Hangelar, ce vol au-dessus de l’Allemagne, ce vol qui dure depuis près de deux heures a été comme un long recueillement dans le bruit qu’on oublie des moteurs. Hitler s’est encore tassé davantage dans son siège de la cabine de pilotage. À chaque minute qui passe le jour gagne rapidement comme si, symboliquement, la longue hésitation des semaines et des mois prenait fin avec la nuit, se dissipait avec elle. Dans quelques minutes ce sera Munich, les S.A., les S.S. : les hommes vivants, avec leurs visages et leurs muscles, leurs instincts, leurs violences, leur peur et ce sera aussi l’engrenage des hasards, l’imprévisible toujours au coeur d’un événement.
LES DERNIERES HÉSITATIONS DE HITLER