Ce n'est rien ! Ce n'est rien ! Puisque vous vous rendez directement en Angleterre, mieux vaut que vous restiez dans la voiture de Calais. Quant а moi, je me trouve trиs bien ici. Sauf un petit mйdecin grec et moi, cette voiture est vide. Ah ! mon ami, quelle nuit nous allons passer ! Voilа des annйes qu'on n'a vu tomber tant de neige. Espйrons que nous ne serons pas bloquйs. Je vous assure que cette perspective ne me rйjouit pas.
A 9h15 prйcises, le train dйmarra. Peu aprиs, Poirot souhaita une bonne nuit а son compatriote et suivit le long couloir pour revenir en avant, dans sa propre voiture, prиs du wagon-restaurant.
Dйjа, les barriиres se brisaient entre les voyageurs ; le colonel Arbuthnot, debot devant son compartiment, causait avec MacQueen.
MacQueen s'arrкta net de parler en voyant Poirot. Il parut trиs surpris.
Tiens ? je croyais que vous nous aviez quittйs. N'aviez-vous pas dit que vous descendiez а Belgrade ?
Vous ne m'avez pas compris, rйpondit Poirot en souriant.
On en enlevй vos bagages. ils ont disparu.
Mais non ! On les a simplement transportйs dans un autre compartiment.
Ah ! bon !
MacQueen reprit son entretien avec Arbuthnot, et Poirot s'йloigna.
Avant d'arriver а son compartiment, il vit la vieille Amйricaine, Mrs Hubbard, en conversation avec la dame au profil de mouton, une Suйdoise. Mrs Hubbard la pressait d'accepter un magazine.
Prenez-le, je vous en prie, j'ai un tas d'autres revus а lire. Mon Dieu ! quelle affreuse tempйrature !
Elle adressa un petit salut aimable а Poirot.
Je vous remercie infiniment, dit la Suйdoise.
Dormez bien et votre migraine disparaоtra. Demain vous n'y penserez plus.
Ce n'est que le froid. Je vais me prйparer une tasse de thй bien chaud.
Voulez-vous de l'aspirine ? Ah ! vous en avez. Alors, bonne nuit !
Comme son interlocutrice s'йloignait, Mrs Hubbard, encline а bavarder, se tourna vers Poirot et lui dit :
C'est une Suйdoise. une sorte de missionnaire. une institutrice, а l'entendre parler. Elle est trиs sympathique, mais elle s'exprime trиs mal en anglais. Ce que je lui ai racontй au sujet de ma fille l'a beaucoup intйressйe.
Bientфt Poirot, et tous ceux qui comprenaient l'anglais dans le train, connurent la fille de Mrs Hubbard. La fille et le gendre de Mrs Hubbard йtaient professeurs au grand collиge amйricain de Smyrne. Mrs Hubbard venait d'accomplir son premier voyage en Orient et racontait а qui voulait l'entendre ce qu'elle pensait des Turcs, de leur indolence et de l'йtat de leurs routes.
La porte du plus proche compartiment s'ouvrit, et le domestique anglais en sortit. A l'intйrieur, Poirot aperзut Mr Ratchett assis sur sa couchette. A la vue de Poirot, le millionnaire changea d'expression et son visage se crispa de colиre. Puis la porte se referma.
Mrs Hubbard attira Poirot un peu а l'йcart.
Cet homme me fait une peur bleue. Pas le valet de chambre. l'autre, son maоtre. Il y a quelque chose de faux dans son regard. Ma fille dit toujours que mon intuition ne me trompe jamais sur les gens. Et mon opinion est faite sur cet individu. L'idйe qu'il occupe le compartiment contigu au mien n'est pas rassurante du tout. La nuit derniиre, j'ai entassй mes valises contre la porte de communication. Il m'a semblй entendre bouger la poignйe. Je ne serais nullement surprise d'apprendre que c'est un bandit, un de ces dйvaliseurs de trains dont on parle tant. Je sais bien que c'est stupide ce que je dis lа, mais qu'y faire ? Cet homme m'effraie, voilа tout. Ma fille me disait que le voyage serait agrйable. Eh bien non !... je tremble de me sentir en pareil voisinage. Le pire peut arriver. Comment ce charmant jeune homme peut-il кtre le secrйtaire de ce sinistre individu ? Je me le demande.
Le colonel Arbuthnot et MacQueen arrivaient dans leur direction.
Venez dans mon compartiment, disait MacQueen au colonel. Je voudrais connaitre votre politique dans les Indes, en ce qui concerne.
Les deux hommes passиrent dans le couloir et se rendirent au compartiment de MacQueen.
Mrs Hubbard souhaita une bonne nuit а Poirot.
Je vais me mettre tout de suite au lit et je lirai, lui dit-elle. Bonne nuit !
Bonne nuit, madame.
Poirot rentra dans son propre compartiment contigu aussi а celui de Ratchett. Il se dйshabilla, se coucha et lut pendant une demi-heure environ avant d'йteindre la lumiиre.
Quelques heures plus tard, il se rйveilla en sursaut. Une soude exclamation, presque un cri, tout proche, l'avait arrachй au sommeil et au mкme instant une sonnerie retentit.
Poirot, rйveillй, se dressa sur son sйant et tourna le bouton du commutateur. Le train йtait arrкtй. sans doute se trouvait-on dans une gare.