— Ils font peut-être grève, songea Jolival avec agacement, surpris, tout de même, de voir cette rareté occidentale s'implanter dans un monde aussi résolument féodal que le monde ottoman. Mais, si grève il y avait, c'était un problème qui regardait Turhan Bey et Jolival, pour sa part, avait d'autres chats à fouetter.
Il se mit à la recherche de dona Lavinia pour savoir si Marianne était réveillée et s'il était possible de se présenter chez elle. Mais il eut beau frapper et refrapper à la porte de la femme de charge, personne ne lui répondit...
Le fait que dona Lavinia ne fût pas chez elle n'avait rien de très inquiétant en soi. Elle se trouvait sans doute auprès de sa maîtresse ou bien occupée à donner des soins au bébé. Aussi fut-ce sous l'impulsion d'une espèce de pressentiment que Jolival, tout doucement, se risqua à pousser cette porte muette et à jeter un coup d'œil à l'intérieur.
Ce qu'il y vit lui fit froncer les sourcils, car non seulement la pièce était dans cet ordre parfait et impersonnel des chambres inhabitées où ne traîne aucun objet personnel, aucune marque de présence, mais encore le lit était fait. Enfin, le berceau du bébé avait disparu...
De plus en plus inquiet, Jolival, sans prendre la peine de faire le tour par la galerie couverte, se jeta dans le couloir qui reliait le logis de dona Lavinia à celui de sa maîtresse et fit irruption chez Marianne comme un boulet de canon...
Vêtue d'une longue robe de nuit qui lui tombait jusqu'aux pieds et lui donnait l'air d'une de ces dames blanches des légendes écossaises, ses longs cheveux croulant sur ses épaules, pieds nus, la jeune femme était debout au milieu de sa chambre, serrant contre elle quelque chose qui avait l'air d'être un papier. De ses yeux grands ouverts et curieusement fixes, un ruisseau de larmes coulait jusque sur sa poitrine, mais aucun sanglot ne contractait sa gorge. Elle pleurait comme pleure une source, mais avec une désespérance qui serra le cœur de son vieil ami. Enfin, sous les minces orteils de ses pieds nus, quelque chose scintillait, quelque chose de vert qui ressemblait à un mince et fabuleux serpent.
Elle était à ce point l'image d'une madone aux douleurs que Jolival pressentit une catastrophe. Tout doucement, retenant même son souffle, il s'approcha de la jeune femme frissonnante.
— Marianne ! murmura-t-il comme s'il craignait que le bruit de ses paroles n'aggravât sa souffrance, mon enfant... qu'avez-vous ?
Sans lui répondre, d'un geste raide d'automate, elle lui tendit le papier qu'elle serrait contre elle.
— Lisez ! dit-elle seulement sans que les larmes s'arrêtassent un instant de couler.
Défroissant le papier d'un geste machinal, Jolival y porta les yeux et vit que c'était une lettre :