Sa lecture terminée, Jolival releva les yeux sur Marianne. Elle était toujours debout à la même place, avec cet air de somnambule douloureuse. Il avait cru, en la retrouvant ainsi changée en statue de la douleur, que le départ de Jason était cause de ce grand chagrin, et voilà que ce qu'il avait craint et espéré tout à la fois, voilà que l'amour maternel réveillé réclamait ses droits avec exigence. Ces larmes, ce n'était pas l'absence de l'amant qui les faisait couler, c'était la disparition de l'enfant, hier encore détesté et qui, cependant, en quelques secondes, s'était taillé la part du lion dans le cœur de sa mère.
Malheureusement, personne n'avait dû informer le prince de ce qui s'était passé dans la chambre et dans le cœur de la jeune femme et, croyant que l'aversion de Marianne demeurait entière, il avait exécuté le plan sans doute arrêté depuis longtemps : il avait emporté l'enfant pour une destination inconnue, sans se douter du désespoir qu'il laissait derrière lui...
Néanmoins, pour essayer de la calmer, Jolival s'efforça au détachement, replia la lettre et la posa sur un meuble.
— Pourquoi donc pleurez-vous, ma chère enfant ? Il n'y a rien, dans cette lettre, qui n'eût été convenu et que vous n'ayez voulu ?
Elle le regarda et il vit une immense surprise dans les larges yeux verts.
— Mais, Arcadius, fit-elle d'une toute petite voix, est-ce que vous ne comprenez pas ? Il est parti... ils sont tous partis... et mon fils est parti avec eux.
Elle tremblait comme une feuille dans le vent. Alors il s'approcha, la prit doucement par le bras pour la ramener vers son lit. Sa peau était glacée.
— Mon petit, reprocha-t-il tendrement, n'est-ce pas ce que vous souhaitiez ? Rappelez-vous : vous vouliez rejoindre Jason, devenir sa femme, recommencer avec lui une autre existence, avoir d'autres enfants...
Comme si elle sortait d'un rêve, elle passa sa main sur son front.
— Peut-être !... Il me semble que je voulais cela et même seulement cela. Mais c'était avant...
Il ne chercha pas à lui faire préciser ce qu'elle entendait par ce simple mot. C'était avant, en effet. Avant qu'elle n'eût serré contre elle un corps minuscule, un petit paquet tendre et doux dont la menotte impérieuse s'était refermée sur la sienne comme pour en prendre possession.
— Le prince ne doit pas être loin, hasarda-t-il, désemparé devant cette douleur. Voulez-vous que nous essayions de le rattraper ? Osman...
— Osman ignore où est allé son maître ! Je l'ai fait appeler quand, à mon réveil, on m'a remis cette affreuse lettre. Il ignore tout de ses intentions et ne pose jamais de questions. Les absences de Turhan Bey sont fréquentes et souvent fort longues. Pour me faire plaisir il a dû se rendre au port afin d'essayer de savoir quelque chose, mais je n'ai pas beaucoup d'espoir. Le prince est peut-être déjà loin en mer.
— Par ce temps et avec un nouveau-né ? Je n'en crois rien.
— Alors il se cache et le chercher est du temps perdu. Car il me l'avait bien dit : après la naissance, il disparaîtrait avec l'enfant. Il a tenu parole et je n'ai même pas le droit de lui faire des reproches.
— Personne ne lui a donc dit qu'hier soir vous aviez enfin accepté votre enfant ? Vous ne l'avez pas revu après notre départ, si j'en crois cette lettre ?
— Non ! Oh, Arcadius, j'étais tellement désolée que je crois bien n'avoir revu personne, pas même dona Lavinia ! J'ai dû pleurer la moitié de la nuit.