Dix minutes plus tard, Ronan avait mis un pull et un jean et s’apprêtait à monter dans la voiture des agents, avec, à la main, un petit sac contenant un pyjama, une brosse à dents, et un tube de lithium. Il se dit, à juste titre, que cette arrestation avait à voir avec l’affaire Pareto qui remontait à plus de douze ou treize ans, la seule totalement illégale, mais dont les bénéfices somptuaires avaient fructifié depuis et lui avaient permis de s’offrir, entre autres, son hôtel particulier en plein centre-ville. Tout était parti d’une rencontre dans la bonne société de Trenton avec Louie Cipriani, affairiste réputé, ami proche de quelques politiques mais aussi de diverses personnalités régulièrement invitées au show de Larry King. Après quelques parties de squash, Louie lui avait présenté ses « amis » du New Jersey, des Manzoni, des Gallone, qui cherchaient un partenaire dans la banque. C’était il y a si longtemps. Dans sa mémoire, il y avait prescription.
Melanie vivait un cauchemar éveillé et cherchait à se raccrocher à une réalité tangible que son mari était incapable de lui fournir.
— Vas-tu me dire ce qui se passe ? C’est en rapport avec la banque ? Un de tes clients ? Mais dis-moi !
— Je ne sais pas, ils ont des choses à vérifier.
— Des choses, quelles choses ?
— Je ne sais pas…
— Tu seras rentré pour le dîner ?
— Je ne sais pas.
— Qu’est-ce que je dis à Brian ?
— Surtout rien ! Si qui que ce soit de la banque appelle, ne dis rien ! Invente quelque chose.
— Quoi ?
— Dis-leur que… je ne sais pas, invente !
— Mais quoi, par exemple ?
Fitzpatrick n’eut pas le temps de chercher, un des agents fédéraux lui appuya sur le haut du crâne avec le plat de la main pour le faire monter à l’arrière de la voiture. C’est à ce geste que Ronan comprit qu’il ne serait pas rentré pour le dîner.
Melanie rentra chez elle, paniquée à l’idée de ne pas trouver un mensonge plausible pour justifier ce départ précipité.
Durant son interrogatoire, Ronan Fitzpatrick entendit d’emblée le nom qu’il aurait préféré oublier, celui de Louie Cipriani. Durant les quatre ou cinq années qui avaient suivi l’affaire Pareto, Ronan n’avait pas eu à regretter ses accointances avec ses « amis » du New Jersey, mais son amitié avec Louie était devenue encombrante quand il avait fait parler de lui dans la presse lors d’un procès pour extorsion de fonds, où il avait été acquitté faute de preuve. Les parties de squash et les week-ends en bateau s’étaient faits plus rares, jusqu’à ce que Ronan lui demande de ne plus appeler à la banque, puis de ne plus appeler du tout.
Pendant que Fitzpatrick passait sans grande arrogance sa première heure d’interrogatoire, Louie Cipriani patientait devant l’école primaire du quartier de Lyndale, Minneapolis, Minnesota. À peine un an plus tôt, il avait voulu prendre ses distances avec le tumulte new-yorkais et s’était installé dans un coin sans histoires, avec sa femme et son jeune fils, les deux derniers êtres au monde à vouloir encore de lui. Poursuivi par le fisc, les créanciers et quelques associés grugés, il vivait désormais aux crochets de sa jeune épouse qui multipliait les heures supplémentaires pour payer un avocat de seconde catégorie. Louie n’avait plus qu’un seul désir : solder sa vie d’escroc mondain pour élever son fils dans la dignité.
À cent mètres en retrait, dans la voiture qui le filait depuis le matin, l’agent Hall et l’agent Esteban attendaient les instructions du Bureau de Washington.
— Ils sont en train de cuisiner un banquier de Trenton, dit Hall. C’est une question de minutes, le gars est en train de frire de trouille.
À peine venait-il de terminer sa phrase que, par téléphone, on leur donnait le feu vert pour appréhender Cipriani.
— On va quand même pas le serrer devant son gosse ?
— Il a quel âge ?
— Huit ou neuf.
— Qu’est-ce qu’on fait ?
Les grilles de l’établissement s’ouvrirent et un flot d’enfants en sortit. Louie accueillit dans ses bras un petit bonhomme de six ans qu’il adorait par-dessus tout et qu’il venait chercher tous les soirs.