Читаем Berlin Requiem полностью

— Le Reichstag a été incendié. Je n’en sais pas plus.

— C’est ce que vient de me dire mon fils. Nous habitons à deux pas, comme tu le sais. Il paraît que c’est un coup des communistes ?

— C’est ce que vient de dire Goebbels à la radio. Je ne sais rien de plus. Les SA sont partout.

— J’ai peur, Wilhelm.

— Il ne faut pas, rien n’est joué. Les élections approchent et le parti nazi est en perte de vitesse.

Christa raccroche. Elle connaît Furtwängler depuis les années vingt. Un infatigable naïf doué d’un optimisme à toute épreuve.

Le chef d’orchestre fait quelques pas dans son appartement désert. Il songe à son Allemagne qui s’effiloche davantage chaque jour. Il est né à Berlin mais sa patrie de cœur, c’est la maison de Tanneck{3}, sur une presqu’île du lac Tegernsee, près de Bad Wiessee. En Bavière. Un peu un coin de paradis sur terre. On aperçoit les Alpes au lointain. Son père, Adolf, avait découvert cet endroit lors d’un périple à vélo. Une grande et belle maison sur deux étages, tout en longueur, cachée par de grands arbres. Autour, les eaux y sont calmes et profondes.

Furtwängler a posé sur une étagère de sa bibliothèque la photo d’un petit gréement, la voile gonflée. Il est à la barre. Walter et Annele, ses frères, se trouvent à l’avant, leurs jambes nues pendent au- dessus de l’eau lisse. Sa sœur, Märit est assise à côté de lui, elle fait un signe à son père qui est en train de les prendre en photo.

— C’était cela, l’Allemagne de mon enfance, dit le chef d’orchestre en reposant le cliché. On se moquait de savoir si le Kaiser préparait ou pas une nouvelle guerre contre la France. On s’en foutait du nationalisme, cette saloperie.

Le père tenait les siens à l’écart des tumultes du monde. La famille est restée à Tanneck des années. C’est là que Furtwängler est devenu musicien, tout ce qu’il est aujourd’hui puise encore sa force dans la vigueur des grands arbres, les rochers de granit et le calme de l’eau. Les plus beaux jours de sa vie. Il aimait être seul, loin des cris, des petits tracas de l’existence, et dans la lenteur du monde. Il partait sur les chemins, vers la montagne, sans but précis, avec toujours une musique en tête et plein de rêves. Chaque pas était pour lui comme une note, chaque souffle une mélodie.

Dans une heure ou deux, il téléphonera à sa mère, Adelheid, qui vit à Heidelberg. Ils parleront un peu du passé et de ses deux frères. À Tanneck, ils passaient le plus clair de leur temps à se chamailler, Wilhelm était l’aîné. Le père ne grondait jamais. Adelheid était plus sévère. Heureusement, car Wilhelm a quitté l’école à l’âge de huit ans. Ses parents préféraient mettre les enfants à l’école de la vie et de la nature. Il a plus appris en gravissant les montagnes ou en plongeant dans les eaux du lac Tegernsee qu’assis au fond d’une classe d’un collège de Bavière.

Adelheid a cessé de peindre. Sa vue est trop faible, à présent. Dans sa jeunesse, elle était une très bonne copiste. Peut-être la meilleure de Munich, très connue. Son père comptait parmi ses amis un génie tel que Brahms. Il avait fréquenté Mendelssohn.

— Brahms et Mendelssohn, murmure Furtwängler en regardant sa montre.

Plus que deux heures avant la répétition. Le chef soupire et fredonne une mélodie légère en jouant de ses doigts sur un clavier imaginaire.

Il a commencé à apprendre la musique avec sa mère puis avec des professeurs qui venaient à la maison. Le violon et le piano, bien sûr. Il n’est jamais retourné à l’école, il la détestait comme il a toujours détesté l’autorité. Il a composé ses premières musiques à l’âge de sept ans et demi. Quelques sonates, des lieder…

Le téléphone sonne une dernière fois. Il hésite avant de décrocher et laisse le grelot de l’appareil tinter bêtement dans le vide, jusqu’à ce qu’il s’épuise. Il a comme une sorte de vertige.

— J’aurais dû devenir compositeur, jamais chef d’orchestre. C’est bête, la vie.

Furtwängler ne se considère pas comme un chef qui compose mais comme un compositeur qui dirige.


Le 5 mars, les nazis remportent les élections législatives avec 43,9 pour cent des voix.

Le 7 mars, le grand Fritz Busch, chef d’orchestre opposé aux nazis, est arrêté en pleine répétition de Rigoletto au Dresden Oper.

Le 16 mars, Bruno Walter, d’origine juive et dirigeant au Gewandhaus de Leipzig, trouve portes closes la salle où il doit donner un concert. Quatre jours plus tard, il demande au ministère de la Propagande d’être placé sous protection. Un concert est prévu à la tête du Philharmonique de Berlin. Le ministère lui répond qu’il sera remplacé par un chef arien, Richard Strauss. Walter s’exile.

Otto Klemperer, qui dirige Tannhäuser au Staatsoper pour le cinquantième anniversaire de la mort de Wagner, est persécuté par la presse. Il est vrai qu’il est un opposant sérieux au nouveau régime et qu’il a commis le crime de se produire régulièrement en Union soviétique. Pire, il a pris parti pour les modernistes. Finalement, après deux représentations, Tannhäuser est annulé.

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